Cet automne, j’ai ignoré mon hamster hypocondriaque intérieur, car dès que j’ai obtenu mon passeport vaccinal, je me suis mise à sortir partout où il y avait du public. Il le fallait parce que dans les derniers mois, j’ai développé une passion malsaine pour le jeu June’s Journey, qui a comblé les heures creuses du confinement.

Cinéma, théâtre, spectacles, musées et restos, j’ai garni mon agenda comme pour me lancer un défi et me donner un coup de pied à la bonne place, après plus d’un an à m’enfoncer dans mon linge mou.

J’ai développé de nouveaux réflexes, à force de montrer mon passeport et une pièce d’identité le plus rapidement possible, tandis que j’ai des tas de masques dans toutes les poches de mes manteaux et dans chacun de mes sacs à main. Mais je ne m’habitue toujours pas au lavage de mains avec des savons gluants qui puent.

Enlève le masque, mets le masque, ouvre le téléphone intelligent, sors la carte d’assurance maladie, referme le téléphone, range la carte… Le seul stress à vivre est celui du téléphone, quand la batterie est à 5 % environ 30 minutes avant ta réservation au restaurant – je songe à faire plastifier mon passeport vaccinal, comme ma mère, qui n’a pas d’iPhone.

C’est devenu flagrant que le processus roule rondement lorsque je suis allée passer trois jours dans la belle ville de Québec pour voir l'exposition sur Serge Lemoyne au Musée national des beaux-arts. Le masque et le passeport vaccinal étaient de tous les instants. Dans l’autocar pour m’y rendre, à l’hôtel, au cinéma où je suis allée revoir Dune avec un ami, chez Boulay où j’ai copieusement mangé dans la douce musique oubliée des conversations, assiettes et ustensiles qui s’entrechoquent. On dirait que chaque sortie est devenue un évènement, je ne sais pas pendant combien de temps ce sentiment va durer. Mais si un jour je redeviens blasée, je vais me rappeler la pandémie pour me punir.

Parfois, j’oublie le masque si je dois me déplacer de quelques pas dans le resto et je reviens en courant à ma table en m’excusant, sans trop comprendre la logique du risque des quelques mètres de distance qui me séparent des toilettes, mais bon.

Malgré ces petites sources d’irritation, tout ça fait un bien fou, même si j’ai l’impression par moments de participer à une expérience de laboratoire. Chaque personne qui a renoué avec un semblant de vie normale depuis la rentrée contribue à tester le retour à l’existence en commun et la longévité des vaccins.

Dans mes premières sorties il y a quelques mois, quand je n’avais qu’une dose, je ne pouvais m’empêcher après de calculer mentalement les jours qui me séparaient des premiers symptômes de la COVID-19. Maintenant, je n’y pense même plus, il y en a trop. S’il y avait un cas dans les multiples places où je suis allée depuis septembre, on l’aurait su, il me semble. Bref, ça fonctionne. Et je n’arrive pas encore à expliquer l’émotion ressentie lorsque j’ai vu une salle pleine offrir une ovation à la pièce Tout inclus de François Grisé. Entendre les applaudissements, voir le bonheur des comédiens, ça n’avait pas de prix.

J’ai juste raté de peu l’assouplissement des restrictions au show Le cours des jours de Dumas, qui m’a procuré des bouffées de bonheur pur, malgré le fait que toutes les fibres de mon corps avaient envie de se lancer devant le stage et danser, alors que l’on devait rester à nos places.

Il était temps que les discothèques rouvrent parce que je sentais poindre le come-back des raves clandestins avec descentes de police. J’ai surtout hâte d’aller chanter G.A.F.A. de Nicola Ciccone dans un karaoké avec mon ami Hugo Meunier…

Quand je pense que l’an dernier, pratiquement à pareille date, j’écrivais une chronique intitulée « L’hiver de force », parce qu’on voyait le mur arriver, parce qu’on n’allait pas passer Noël en famille, sans oublier que cela allait se doubler d’un couvre-feu. J’y repense avec un frisson, l’ambiance était tellement lourde. Les vaccins n’étaient pas encore là, et c’est ce qui a tout changé. Une vaste majorité de gens ont mis l’épaule à l’aiguille, j’y vois quelque chose d’admirable. Car ces publics-là que j’ai côtoyés dans les dernières semaines ont fait ce qu’il fallait pour qu’on se retrouve.

Nous devinons tous qu’il y aura probablement d’autres éclosions, et que nous devrons jongler encore avec des consignes de plus en plus absurdes (deux mètres, un mètre, bientôt des centimètres ?), mais quelque chose est enfin arrivé : l’espoir.

Et, cerise sur le gâteau, les lieux culturels et les endroits où l’on aime se voir, du moins ceux qui ont survécu, n’attendent que nous, les bras grands ouverts.

J’espère qu’au terme de cette épreuve collective, qui finira par arriver, nous aurons retenu à quel point nous avons besoin les uns des autres. Appelons cela une renaissance, même si l’hiver s’en vient.