De retour aux affaires courantes aujourd’hui avec un gros pschitt de Nuit blanche, le soap de luxe de Radio-Canada aux notes de tête florales, qui distille ses odeurs de Chalmers – le scotch favori de Loulou Hébert – depuis six semaines déjà.

Ah oui, c’est décidé. Je me recycle en rédacteur de brochures publicitaires pour Sephora. Laissez-vous envoûter par le nouveau parfum Nuit noire au cœur de lys hybridé, qui vous rappellera la fraîcheur d’une serre de manoir de banlieue, mais sans essence d’anxiolytiques.

Blague à part, pour revenir à Nuit blanche, une des belles surprises de l’automne télévisuel, il reste encore bien des fils à démêler avant la conclusion de ce feuilleton signé Julie Hivon. Accent irlandais confus, cachets de Ziatepam, personnages qui roulent leur « r » de façon exagérée et vol de venin, c’est gros comme intrigue, mais ça fonctionne comme du Chanel no 5 sur Marilyn Monroe. C’est hyper attrayant et séduisant.

Enfin une série qui s’assume pleinement et qui s’amuse avec les codes du soap pour le bonheur de ses téléspectateurs-détectives, qui essaient de solutionner ce crime quasi parfait : qui a donc assassiné Louise Hébert (France Castel), la PDG de l’entreprise de cosmétiques Nocturne ?

Demande spéciale au talentueux réalisateur de Nuit blanche, Sébastien Gagné : ça serait bien correct d’arrêter de montrer des images de Loulou Hébert morte dans son fauteuil, la langue sortie et le visage bleuté. Nos cauchemars seront moins vifs, merci.

Les soupçons sur l’identité du meurtrier passent du parfumeur Simon (Iannicko N’Doua) à sa copine Emma (Orphée Ladouceur-Nguyen), la super adjointe des coprésidents Lucas (Jean-Philippe Perras) et Marlène (Marilyse Bourke). Mais ce serait trop facile d’accuser la dévouée Emma, alors qu’il reste encore quatre épisodes. Il faut se mettre le nez ailleurs. Mais où ?

Le voisin louche de Châteauguay, soit le photographe Marco Leduc (Jean-Nicolas Verreault), cache mal ses intentions de vengeance. Sa mère Jacinthe (Kim Despatis, dans les années 70) a été écartée de la multinationale qu’elle a cofondée avec Louise Hébert. C’est un motif assez gros pour en vouloir à mort à la riche famille Hébert. Là encore, ça paraît trop simple.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Le mari effacé de Marlène, Christophe (Jean-Moïse Martin), n’est pas à écarter de la liste des suspects.

Règle numéro un dans une série à indices comme Nuit blanche : ne jamais sous-estimer les personnages discrets, qui volent sous le radar. Ce qui nous amène au graphiste Christophe (Jean-Moïse Martin), le mari effacé de Marlène. Il a eu accès à tout : le coffre-fort, le manoir, les documents secrets, et en se débarrassant de Loulou, il s’assurait – en théorie – que Nocturne revienne à sa femme. À ne pas écarter de la liste des suspects.

Et que penser de la mystérieuse Addison Reynolds (Jessica Abruzzese), alias la fille à motocyclette ou le « Masque », selon Jeanne (Stéphanie Colle) ? Jeanne, la fille trisomique de Charlotte (Valérie Blais), connaît Addison et l’a vue rôder autour du château familial. C’était Addison, le fameux masque des mauvais rêves de Jeanne.

Se pourrait-il que Jeanne détienne la clé de l’énigme ? Plus elle parle, plus elle dévoile des pépites d’information inédites.

Vous l’avez sûrement remarqué, Radio-Canada présente cet automne trois téléséries mettant de l’avant des personnages trisomiques. Il y a Jeanne dans Nuit blanche, Danahée (Camille Vincent) dans la minisérie Après et Ludger (Jean-François Hupé) du téléroman Une autre histoire. Dans Après et Nuit blanche, les rôles confiés aux deux actrices trisomiques ont été costauds et touffus. Comme pour n’importe quel comédien dit neurotypique.

Pendant ses 15 journées de tournage, Stéphanie Colle, 37 ans, qui incarne Jeanne dans Nuit blanche, était toujours accompagnée de son coach de jeu Martin Perreault. Ce dernier enseigne à l’école spécialisée montréalaise Les Muses, dont tous les élèves vivent avec un handicap (trisomie, trouble du spectre de l’autisme, déficience intellectuelle).

« L’important, avec les acteurs trisomiques, c’est d’y aller étape par étape, très simplement, sans entrer dans les grandes analyses psychologiques. On lit avec eux les scènes et on travaille des mots clés : fâchée, triste, en colère, aimante, gênée. On répète beaucoup le texte et on décode avec eux les intentions. Plus l’acteur est préparé, mieux c’est », explique Martin Perreault, qui enseigne aux Muses depuis quatre ans.

Le plus difficile pour un acteur trisomique ? Gérer le flot de stimuli que génère un plateau de tournage.

Les caméras, l’équipe technique, les partenaires de jeu, les indications du réalisateur, les déplacements, tout ça est déstabilisant. Ce n’est pas facile pour Stéphanie de garder sa concentration.

Martin Perreault, professeur de jeu

Pour limiter les mauvaises surprises avant que les caméras ne roulent, Martin Perreault a montré à son actrice des photos de tous les acteurs qu’elle croiserait sur le plateau. Il lui a aussi fait faire plusieurs exercices de prononciation en utilisant un bouchon de liège, un substitut à la bonne vieille méthode du crayon serré entre les dents. « Les trisomiques ont la langue plus épaisse, ce qui rend leur diction plus difficile », note Martin Perreault.

Maude Desbois, qui a aussi donné des formations à l’école spécialisée Les Muses, épaule le comédien Jean-François Hupé, 44 ans, alias Ludger d’Une autre histoire, pendant chacun de ses jours de tournage. « Il faut faire beaucoup de travail en amont et vérifier s’il comprend bien les situations. On décortique ensemble les émotions, qu’il va souvent avoir tendance à mimer. Et je m’assure qu’il comprenne bien toutes les subtilités de l’histoire », détaille la prof Maude Desbois.

Maintenant, est-ce que Jeanne connaît le nom du tueur de sa Mamie Lou ? Le coach de jeu Martin Perreault a lu tous les textes de l’actrice Stéphanie Colle et connaît la réponse. Mais comme un pschitt de Nuit noire, il laisse flotter cet odorant mystère dans l’air.