Je ne fais jamais, jamais ça. Je ne me prive pas de dévorer sans restriction une série que j’adore. Êtes-vous toujours là ? Tellement. Le gavage télévisuel, c’est une religion à la maison.

Mais pour la troisième saison de Succession de la chaîne HBO, que nous, les fans finis, attendons depuis plus de deux ans, j’ai volontairement arrêté au sixième épisode sur un total de neuf. Pourquoi ? Parce que je veux m’en conserver pour plus tard tellement c’est bon. En fait, il s’agit du meilleur des trois chapitres de cette tragédie shakespearo-financière. Ça frôle le génie.

Pourquoi alors y renoncer, redemandez-vous ? Parce qu’en me rendant jusqu’au bout de Succession 3 avant tout le monde, a) je risque à 100 % de divulgâcher des éléments majeurs qui ébranleront la puissante famille Roy et b) je devrai attendre encore plus d’un an pour renouer avec Roman, Shiv, Connor, Kendall et leur père tyrannique Logan. Bref, je me garde une réserve de bonbons télévisuels pour la déprimante période post-Halloween.

La poutine technique, avant de poursuivre. HBO Canada et la version premium de Crave – donc pas le Crave de base – relaieront le premier épisode dimanche à 21 h. En français, Succession jouera à Super Écran les mercredis à 21 h à partir du 20 octobre. Les épisodes sortiront ensuite au rythme d’un par semaine, quelle torture, voyons.

Résumer Succession pour ceux qui ne connaissent pas cette formidable télésérie ressemble à ceci : les quatre enfants adultes du PDG d’un conglomérat médiatique se plantent des couteaux dans le dos, s’insultent royalement et n’hésitent pas à jeter frère ou sœur sous les roues du proverbial autobus pour détrôner leur papa conservateur, Logan Roy (superbe Brian Cox). D’où le titre de cette riche production : Succession.

L’enjeu, en chiffres ? Prendre les rênes de la gigantesque société Waystar évaluée à 85 milliards. Carencés, détestables et dysfonctionnels, les quatre enfants se battent depuis leur naissance pour des miettes d’attention, d’approbation, voire d’amour. Leur paternel Logan, un vieux loup diabolique de Wall Street, exploite vicieusement leurs faiblesses et les monte les uns contre les autres.

C’est du théâtre d’une cruauté inouïe. Pensez à la famille Murdoch, qui contrôle Fox News, le New York Post, le Wall Street Journal et les studios de la Twentieth Century Fox. Succession nous entraîne dans les coulisses où évolue le 1 % du 1 %, des gens horribles, égocentriques et allergiques à l’introspection.

La troisième saison de Succession reprend là où la spectaculaire finale de la deuxième année nous a abandonnés. En direct à la télévision, le ténébreux Kendall (Jeremy Strong) a refusé de se sacrifier pour l’entreprise familiale Waystar, révélant plutôt que son père Logan a tenté de camoufler des crimes sexuels commis sous sa gouverne. Bruit de bombe ici.

Malgré son sourire énigmatique, qui a été source de nombreuses spéculations (est-il fier de Kendall ou fâché contre lui ?), l’impitoyable Logan Roy ne rigole plus. La survie de son empire pèse maintenant dans la balance. Et le FBI s’intéresse aux dossiers secrets obtenus par le lanceur d’alerte Kendall, très fier de son nouveau statut de « bon gars ».

C’est donc Kendall contre Logan, le combat de titans. Qui se rangera dans quel camp ? Qui trahira qui ? Ces tractations machiavéliques constituent le cœur de Succession. Ça et les insultes dont s’arrosent les protagonistes, écrites avec encore plus d’esprit et de venin. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai reculé pour réentendre une réplique assassine.

Le cinquième épisode de Succession 3, qui se déroule pendant une assemblée annuelle des actionnaires de Waystar, est un des meilleurs de toute la série. C’est digne du plus grand thriller économique au cinéma.

Les nouveaux personnages « vedettes » ne se pointent pas avant le quatrième épisode, où l’investisseur Josh Aaronson (Adrien Brody) convoque une réunion (hyper tendue) au sommet. Sortez les jets privés et les hélicoptères.

L’accent de Succession reste (heureusement) sur le sarcastique Roman Roy (Kieran Culkin), sa sœur opaque Shiv Roy (Sarah Snook) et le bizarre Connor Roy (Alan Ruck), le libertarien aux ambitions politiques. Tous « tirent la couverte » de leur bord, sans égard aux conséquences de leurs gestes purement égoïstes.

Le cousin Greg (Nicholas Braun) est toujours là, toujours mêlé et maladroit. Le pitoyable Tom (Matthew Macfadyen) angoisse à l’idée de croupir en prison, tandis que Gerri, Frank et Karl se cramponnent à leurs postes de cadres chez Waystar.

En excluant le roi Logan, le plus fascinant de la distribution de Succession demeure Kendall.

Vulnérable, insupportable, pitoyable ou antihéros aux motivations douteuses, Kendall veut tellement être cool et woke qu’il se couvre de ridicule. Il est imbuvable, il est parfait.

Dans Succession, les personnages bafouillent, hésitent et se coupent la parole. On ne voit plus ce type de dialogue plus naturel à la télévision québécoise, où les répliques s’enchaînent sans jamais empiéter l’une sur l’autre.

Ah oui, au sujet de ma résolution de mettre de côté les derniers épisodes de Succession, je l’ai sûrement transgressée au moment où vous lisez ces lignes. Désolé. Il n’y a pas que chez les Roy que les promesses signées avec du sang se renient aussi facilement.