Les vêtements de Mario Davignon ne défilent pas sur les podiums devant la moue blasée d’Anna Wintour. Ils sont projetés sur grand écran et sont une seconde chair pour les acteurs. Ils portent aussi à bout de bras des chansons, celles de Diane Dufresne.

Mario Davignon aime revenir dans le temps. C’est ce qui a fait la renommée de ce concepteur devenu au cours des dernières décennies le grand spécialiste du costume historique au cinéma. Il n’en fallait pas plus pour que la ville d’où il est originaire, Saint-Jean-sur-Richelieu, lui rende hommage par une exposition joliment appelée De films en aiguilles et qui mérite largement le déplacement.

Mais avant de devenir le maître qu’il est, Mario Davignon a connu le long parcours des guerriers qu’il a souvent habillés. Après des études en conception de costumes, décors et éclairages au cégep Lionel-Groulx, au début des années 1970, il enchaîne avec une formation en interprétation.

« Cela m’a bien servi. Ça m’aide dans mon dialogue avec les comédiens quand je les habille. Et ça me permet de mieux lire les scénarios. Je déchiffre les personnages comme un comédien. Quand j’arrive aux essayages, je peux mieux expliquer au comédien où on s’en va. »

Au Québec, la formation en conception de costumes prépare les finissants au théâtre. Or, créer des vêtements pour le cinéma est une autre paire de manches.

Au théâtre, les spectateurs sont loin. Tu peux tricher. Au cinéma, il y a les gros plans. Et puis, tu dois constamment travailler en fonction de tous les éléments qui interviennent dans une scène.

Mario Davignon, créateur de costumes

Après cette double formation, Mario Davignon laisse pousser ses cheveux, enfile une chemise indienne et des sandales de cuir et va cueillir des fruits dans l’Ouest canadien. « Quand je revenais l’hiver, je donnais un coup de main à mes amis qui étaient concepteurs. Je faisais de la couture et des accessoires. »

À l’école de couture Cotnoir-Capponi, où plusieurs créateurs sont passés, dont l’illustre François Barbeau, il perfectionne sa technique de coupe. Puis, un conseil anodin de son père le catapulte dans le monde merveilleux du cinéma.

« Il m’a recommandé de suivre des cours de conduite. Comme j’étais docile, j’ai accepté. Un jour, mon amie Renée April m’a dit qu’Yvon Duhaime avait besoin d’un chauffeur pour les besoins d’un tournage. J’ai accepté. »

Dans les années 1960 et 1970, Yvon Duhaime est un concepteur très recherché par les réalisateurs de cinéma et de télévision. En symbiose avec son époque, il crée des vêtements originaux qui n’ont pas peur des couleurs et des formes. Les extravagantes tenues de Dominique Michel et de Denise Filiatrault dans Moi et l’autre sont de lui.

Quelques costumes conçus par Mario Davignon
  • Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

  • Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

  • Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

  • Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

  • Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

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C’est ainsi que Mario Davignon se retrouve en 1979 sur le plateau de la production américaine City on Fire. C’est le début d’une période où des films catastrophes américains sont tournés au Québec. De grands noms y jouent de petits rôles pour attirer le public. Duhaime détecte rapidement le talent de Mario Davignon. Il en fait illico son assistant.

Mais après une semaine de tournage, lorsque Duhaime a un malaise cardiaque, Mario Davignon se retrouve du jour au lendemain le grand responsable des costumes de cette production qui rassemble Henry Fonda, Shelley Winters et Ava Gardner. La rencontre avec cette dernière marque le jeune habilleur.

« Lorsque je l’ai rencontrée pour les essayages, elle m’a accueilli à sa chambre d’hôtel dans des jeans, un chemisier blanc et un chignon nonchalant. Le hippie que j’étais avait Hollywood au grand complet devant lui. »

Mario Davignon plonge tête baissée dans cet univers bourré de codes et de règles. « Je ne connaissais rien de la continuité des scènes, je ne savais rien, dit-il. Mais je n’étais pas sot. Ce qui fait que lorsqu’on m’a proposé d’être concepteur pour une production, j’ai refusé. J’ai préféré aller faire mes classes comme habilleur. »

Baby-sitting avec les stars

Durant les années 1980, il est habilleur en chef et coordonnateur aux costumes pour plusieurs grandes productions, dont Robe noire, M. Butterfly et Roméo+Juliette de Baz Luhrmann. « Tu apprends à faire du baby-sitting et à jouer aux dames de compagnie. »

Puis, au milieu des années 1990, il commence à se forger un nom comme concepteur. C’est ainsi qu’il enchaîne une quarantaine de productions comme The Scarlet Letter, Dreamkeeper, Highlander III, Head in the Clouds (avec Charlize Theron et Penélope Cruz), Race et La bataille de Midway.

Au fil de ce parcours, Mario Davignon se spécialise dans la création de costumes d’époque. « J’ai souvent pensé que j’aurais dû être archéologue ou historien. J’aime travailler avec le passé. » Composer avec le choix des tissus, la recherche des bons accessoires, la manière de couper les vêtements, tout cela est mis au service de l’art du costume historique.

  • Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

  • Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

    PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

  • Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

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    Costumes du créateur Mario Davignon exposés au Domaine Trinity d’Iberville, à Saint-Jean-sur-Richelieu

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Cet infatigable créateur aime à répéter qu’il habille un personnage, pas un acteur ou une actrice. Et rien ne lui fait plus plaisir que de voir un acteur enfiler un de ses costumes en affirmant qu’il rencontre son personnage. « J’aime aussi que l’acteur me donne des indices sur la façon dont il a travaillé son rôle. Ça me dit d’abord qu’il a travaillé. »

Mario Davignon est un spectateur qui se laisse facilement charmer par une bonne histoire au cinéma. Mais gare au concepteur de costumes qui commet une faute. « Rien ne m’insulte plus que de découvrir dans un film qui se déroule dans les années 1900 un manteau que portait mon père en 1960. Là, je décroche complètement. »

Ignoré au Québec

Au Québec, on a pensé à lui pour 15 février 1839 et Hochelaga, terre des âmes. Il a été très heureux de pouvoir travailler à ces productions, car longtemps il a senti que les producteurs et réalisateurs québécois l’ignoraient.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Mario Davignon

Un jour, j’ai appris qu’une équipe québécoise me voulait et la directrice de production a dit que je coûtais trop cher. Comme je travaillais uniquement sur des productions américaines, on pensait que j’étais un enfant gâté qui tapait du pied.

Mario Davignon, créateur de costumes

Cette idée préconçue, Mario Davignon l’a reçue en plein visage lors de sa première rencontre avec Pierre Falardeau. « Il m’a dit que les gens qui travaillaient pour avoir des Oscars, ça ne l’intéressait pas. Je ne comprenais absolument pas ce qu’il voulait dire. Cela dit, on s’est entendus comme “crisse et tabarnak” pour le reste du tournage. »

Ce concepteur a peu travaillé en dehors du théâtre et du cinéma. Mais pour Diane Dufresne, il a accepté de créer des costumes qui ont servi à des spectacles, des pochettes, des vidéoclips et des couvertures de magazine (on peut voir quelques-uns des costumes portés par la diva jusqu’au 10 octobre dans la seconde salle de l’exposition).

« Quand je crée un costume de scène, je veux d’abord que l’artiste soit à l’aise. Ensuite, je tente d’aider la chanteuse à porter sa chanson. »

Cette exposition, dans le cadre enchanteur du Domaine Trinity d’Iberville, permet d’admirer une soixantaine de costumes provenant de diverses productions et couvrant cinq siècles d’histoire. Loin des acteurs qui les ont portés, ces vêtements aujourd’hui rassemblés émeuvent leur concepteur.

« Ça me fait tout drôle de voir ça. Je revis plein de choses, la recherche des tissus, les rencontres avec les gens, les souvenirs de tournage. C’est une grosse charge émotive. »

De films en aiguilles – l’histoire se costume. Jusqu’au 7 novembre au Domaine Trinity d’Iberville (Saint-Jean-sur-Richelieu). Vendredi, de 13 h à 17 h et de 19 h à 21 h. Samedi et dimanche, de 13 h à 17 h. Entrée libre.