Rendu au quatrième épisode de la série Nine Perfect Strangers, offerte en français et en anglais sur Amazon Prime Video, je me pose la fameuse question du téléphage aguerri, tel un Plastic Bertrand bien en voix : est-ce que j’arrête ou je continue ?

Sur papier, Nine Perfect Strangers, adaptée du roman de Liane Moriarty (Big Little Lies), regorge de potentiel, tandis qu’à l’écran, ça se gâche rapidement. Neuf étrangers convergent vers un centre de santé haut de gamme dirigé par la prêtresse des bois Masha (Nicole Kidman), qui porte une mauvaise perruque blonde et qui parle, quand ça lui tente, avec un accent russe.

La déesse elfique Masha, qui fait aussi office d’oracle, quand ça lui tente, a elle-même sélectionné les neuf convives pour créer un environnement propice à les libérer de leurs démons personnels. Parmi les clients choisis par Masha, on retrouve notamment un ancien joueur de football accro aux opioïdes (Bobby Cannavale), une auteure à la Danielle Cuivre sur le déclin (Melissa McCarthy), une famille endeuillée, un jeune millionnaire de la loto et une influenceuse en crise existentielle.

En retraite fermée hyper stricte, sans cellulaire ni rien, les neuf clients fortunés amorcent leur introspection de dix jours, facilitée par l’ingestion de smoothies bien spéciaux. Attention ! Notre gourou nouvel-âgeuse Masha, toujours aussi vaporeuse et éthérée, approuve et mesure chacun des ingrédients que consomment ses prisonniers, euh, ses ouailles, même les concoctions illégales. C’est bizarre, c’est intrigant, c’est comme regarder un accident de char.

Mais est-ce suffisant pour finir cette minisérie qui compte huit épisodes d’une heure ? Et si on abandonne à mi-parcours, ne risque-t-on pas de rater la finale dont tout le monde va parler autour de la machine à café sur Zoom ?

Avec la multiplication des plateformes, qui proposent des piles d’émissions à dévorer, on ne peut plus demander aux consommateurs d’attendre le sixième épisode « avant que ça devienne bon ». C’est beaucoup trop long.

Il y a tellement d’offre et pas assez de temps pour tout voir qu’il ne faut pas se sentir coupable de tirer la plogue devant une intrigue vaseuse.

La grande question, maintenant, c’est de savoir après combien d’épisodes avons-nous le droit de lâcher une série sans remords ni regrets ? Combien faut-il de temps pour bien juger si une émission nous plaira ou non ?

La règle des « trois épisodes » établit une assez bonne jauge, estime Isabelle Langlois, scénariste de la comédie Lâcher prise. « Dépendamment de mon humeur, ça peut être pas mal moins. Genre, tout de suite après le générique d’ouverture. Ou ça peut dépendre de la confiance que j’ai dans les goûts de la personne qui me recommande la série : non, non, persiste, je te jure que tu vas trouver ça bon ! Des fois, je continue dans une série même si l’histoire ne m’intéresse pas tant parce que j’aime la compagnie des personnages », explique Isabelle Langlois.

L’auteure Anita Rowan, qui a écrit pour les téléromans O’ et L’échappée à TVA, a longtemps été indulgente envers les séries qu’elle visionnait, s’obligeant même à se rendre au bout de saisons qu’elle n’aimait pas. Sa patience s’est érodée dans les dernières années.

« Deux ou trois épisodes, c’est généralement mon maximum. Comme auteure, je sais que les scénaristes ont habituellement eu plusieurs mois, voire quelques années, pour développer la série, peaufiner le pilote, écrire et réécrire les premiers épisodes. Donc si ces épisodes, qui ont bénéficié de temps et d’énergie exceptionnels, ne sont pas convaincants, je doute que la suite se bonifie », estime Anita Rowan.

Jacques Davidts, créateur des Parent et des Mecs, croit aussi à la règle des « trois épisodes de grâce » avant le grand débranchement. « Comme auteur, je m’accroche aux trois premiers épisodes en espérant voir l’auditoire monter. Si l’auditoire monte, c’est winner. Si ça descend, c’est mauvais signe. Après, c’est certain qu’il faut que la case horaire soit conforme au public que tu veux aller chercher », fait-il remarquer.

Selon Marie-Andrée Labbée, derrière le clavier pour les comédies Trop et Sans rendez-vous, il faut y aller au cas par cas avant d’abdiquer. « En tant que téléspectatrice, si l’univers, les personnages ou les acteurs m’intéressent, je peux donner une longue chance, une saison complète. Si l’univers ne m’intéresse pas, comme Game of Thrones, je flushe sans problème après un épisode. La vie est trop courte. Par contre, j’ai trouvé les premiers épisodes de The White Lotus très lents, alors que la deuxième portion de la saison a été extraordinaire », souligne la scénariste.

Quant à Nine Perfect Strangers, meh, ça ne s’approche pas une seconde de The White Lotus, une série qui explore des thèmes similaires, mais avec plus de finesse et de sarcasme. Allez la rattraper sur Crave ou Super Écran.

Il y a une partie de moi qui souhaite se rendre au huitième épisode de Nine Perfect Strangers pour connaître le dénouement des histoires de ces neuf personnes sur le point d’exploser. Et pourquoi lire le livre quand la série gît, toute prête, bien emballée, sous nos yeux ? Paresse 101.

Honnêtement, j’ai juste le goût de poursuivre Nine Perfect Strangers pour rire des cheveux de paille de la nymphe holistique Masha (décevante Nicole Kidman), et ce n’est pas super sain ou une utilisation judicieuse de mon temps d’écran, on va se le dire. « Au suivant ! », dirait Stéphane Bellavance.