L’affaire Pascale Nadeau se complexifie et secoue les fondations de ce qui reste de la vieille tour de Radio-Canada. Et les deux versions qui circulent à propos de la sortie de la journaliste de 61 ans se situent à l’opposé l’une de l’autre. Démêlons tout ça maintenant.

D’abord, deux des patrons du diffuseur public ont martelé mercredi que le processus ayant mené à la suspension d’un mois de l’ex-cheffe d’antenne du Téléjournal, puis à son départ à la retraite, avait été rigoureusement respecté.

En point de presse virtuel, la directrice générale de l’information de Radio-Canada, Luce Julien, a assuré que le départ de Pascale Nadeau n’était « ni un congédiement ni un congédiement déguisé, et encore moins de l’âgisme ». « Je réfute totalement ces allégations. Je n’accepte pas ça du tout », a répété Luce Julien.

Par voie de communiqué, le vice-président des services français de Radio-Canada, Michel Bissonnette, a réitéré que le dossier de Pascale Nadeau avait « été rempli dans les règles de l’art ».

Je suis conscient que certains d’entre vous puissent être inquiets par ce que vous lisez ou entendez dans les médias. Je tiens à vous assurer que nous prenons toutes les plaintes au sérieux et que nous suivons nos politiques internes à la lettre, qui traduisent notre engagement à protéger tous nos employés.

Michel Bissonnette, dans une note interne envoyée aux journalistes

De leur côté, Pascale Nadeau et son syndicat tiennent un discours complètement différent et dénoncent la dérive disciplinaire imposée par les cadres de Radio-Canada. « Nous jugeons que les sanctions imposées à Pascale Nadeau sont inutiles et exagérées. Pascale Nadeau n’a pas l’ombre du début d’un reproche dans son dossier disciplinaire », soutient le président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada (STTRC), Pierre Tousignant, secrétaire de rédaction à la radio de Radio-Canada à Sherbrooke.

Jointe mercredi, Pascale Nadeau n’a pas souhaité répliquer à ses anciens patrons Michel Bissonnette et Luce Julien. C’est ce que l’avocat affecté à l’arbitrage de son grief, Julien Boucher-Carrier, lui a conseillé.

D’ailleurs, ceux qui attendent l’arbitrage de ce grief pour comprendre ce qui est reproché à Pascale Nadeau, qui travaille à Radio-Canada depuis 33 ans, devront prendre leur mal en patience. Selon le syndicat, il n’aurait pas de plage libre pour en débattre avant décembre 2022, au plus tôt. C’est le genre de dossier qui peut traîner pendant plusieurs années avant de se fermer.

Dans une lettre ouverte publiée mardi dans nos pages et dans Le Soleil, Pascale Nadeau soutient qu’elle ne souhaitait pas prendre sa retraite, qu’elle a été congédiée par la porte d’en arrière et que l’enquête ayant mené à sa destitution a été pénible, humiliante et douloureuse, selon ses propres mots.

Lisez la lettre ouverte de Pascale Nadeau

La plainte visant Pascale Nadeau, dont on ignore la teneur exacte, a été déposée à l’été 2020. Comme le prévoit le Code canadien du travail, une enquête a été déclenchée et a mené à la mise en arrêt de travail de la cheffe d’antenne du Téléjournal week-end pendant un mois, sans salaire, en février dernier.

Selon le syndicat, « il y a plusieurs vices dans le fonctionnement des enquêtes externes », notamment parce que le syndicat n’a pas son mot à dire sur le choix des enquêteurs, qui sont presque toujours les mêmes. Radio-Canada sollicite très souvent la même firme privée montréalaise pour régler ce type de litige.

Si Radio-Canada s’était excusée et avait effacé cette tache à son dossier, Pascale Nadeau aurait accepté de reprendre les rênes de son journal télévisé. La patronne de l’info, Luce Julien, juge que la direction n’avait pas à offrir d’excuses, car elle a agi selon des règles précises et justes. Luce Julien dit avoir tenté de rétablir « les ponts et une passerelle » avec sa vedette de l’information, en vain.

Maintenant, que s’est-il passé pour que l’on en arrive à un tel déballage public ? La direction a refusé mercredi d’aborder les gestes reprochés à Pascale Nadeau. Encore ici, deux versions – non confirmées – circulent.

Se pourrait-il que Pascale Nadeau ait parlé durement, et de façon très raide, à des membres de son équipe ? La plainte contre elle n’aurait pas été faite par la personne ayant encaissé les remarques de Pascale Nadeau, mais par une collègue qui avait été témoin des échanges.

Hypothèse différente, maintenant : Pascale Nadeau a-t-elle simplement exercé un leadership corsé dans un environnement où la pression était intense ? Voilà le cœur du litige, qui reste à éclaircir.

À l’interne, deux clans s’affrontent à ce sujet. Le premier groupe appuie Pascale Nadeau, qui, oui, peut être cassante, tranchante et exigeante, mais qui porte un journal télévisé sur ses épaules. C’est elle qui doit répondre des gaffes des autres. Et dans le feu de l’action, et à quelques minutes avant d’entrer en ondes, les gants blancs tombent souvent, même si ce n’est pas souhaitable.

Dans l’autre faction, il y aurait une plus jeune génération qui estime déplacée cette façon de se comporter en 2021. On ne s’adresse plus aux gens de cette façon carrée, disent-ils. On détecte ici un choc culturel entre deux mentalités de gestion.

Sans le lier au dossier de Pascale Nadeau, la patronne Luce Julien reconnaît qu’il y a un « clash de générations » à Radio-Canada, qui rend difficile le recrutement de journalistes prêts à travailler le soir ou le week-end. Dans sa lettre ouverte, Pascale Nadeau rapporte qu’à son Téléjournal week-end, elle côtoyait parfois des collègues moins expérimentés ou de passage, ce qui pouvait causer des frictions.

Vous vous en doutez, la sortie de Pascale Nadeau a enflammé les salles de rédaction radio-canadiennes partout au Québec. « Cette affaire a créé un climat de suspicion et d’inquiétude. On se dit que s’ils peuvent faire ça à Pascale Nadeau, ils peuvent le faire à tout le monde. Personne n’est à l’abri », confie une source du Téléjournal qui a requis l’anonymat. On peut la comprendre.