C’est un livre que j’ai dévoré, c’est devenu une série en six épisodes que je vais engloutir même si je connais la fin.

Un lien familial, adaptation du roman à succès de Nadine Bismuth réalisée par Sophie Lorain, est un suspense conjugal révélateur des paradoxes des relations amoureuses de notre époque, entre le rêve persistant de la famille parfaite et la quête d’émancipation personnelle. Nadine Bismuth, écrivaine experte du détail, a écrit ce livre paru en 2018 d’abord pour elle, dans sa bulle, alors qu’elle vivait une séparation. Le passage au petit écran ne lui a demandé aucun sacrifice, dit-elle. « Au contraire, il n’y a que des ajouts qui se sont faits. Je pouvais raconter de nouveau cette histoire avec des ingrédients différents. »

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Rachel Graton dans Un lien familial

Le ton particulier du roman, que Nadine Bismuth situe dans l’ironie, est conservé. « Ce n’est ni dramatique ni humoristique », souligne-t-elle. Et c’est bien cet aspect fascinant qu’ont voulu respecter Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault, producteurs de la série, qui sont tombés avec bonheur dans le brillant panneau d’Un lien familial.

Regardez la bande-annonce de la série

« En fait, ce que Nadine fait très habilement dans le roman, j’ai voulu le faire avec la série, c’est-à-dire qu’il y a énormément de manipulation, Nadine Bismuth ! », lance Sophie Lorain à sa collaboratrice (l’écrivaine signe le scénario) pendant la réunion Zoom avec les médias. Sophie Lorain, qui fait ici un retour derrière la caméra à Radio-Canada après La galère et Nouvelle adresse, explique qu’en lisant le livre, elle pensait être dans une histoire d’amour avant d’être détrompée par la plume de l’auteure. « Et je me suis dit : “Mon dieu qu’on est caves !” C’est sûr qu’on projette tous ce qu’on a envie de voir. Nous sommes bombardés de comédies romantiques. »

C’était un peu mon travail de manipuler le spectateur pour qu’il soit dans la même veine que ce que Nadine avait créé. La réalité nous pète en pleine face ; c’est vers ça que l’auteure nous amène.

Sophie Lorain, réalisatrice d’Un lien familial

Un lien familial est l’histoire de la rencontre, lors d’un souper en famille, entre Magalie (Rachel Graton), designer de cuisine dont le couple bat de l’aile, et Guillaume (Maxime Allard), policier divorcé, fils d’André (Jacques L’Heureux), le nouveau chum de Monique (Chantal Fontaine), mère de Magalie. Ils ne sont pas du même monde. Avec Mathieu (Pierre-Yves Cardinal), son mari avocat qui la trompe, elle évolue dans un milieu bourgeois branché, où elle conçoit des cuisines pour des gens riches (et souvent insupportables), tandis qu’il est un gars simple de la banlieue, qui voit en elle une femme de rêve (alors qu’elle trompe elle-même son mari par dépit d’être trompée). Guillaume tentera de séduire Magalie en lui demandant de refaire sa cuisine…

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Un lien familial « est un suspense conjugal révélateur des paradoxes des relations amoureuses de notre époque, entre le rêve persistant de la famille parfaite et la quête d’émancipation personnelle », écrit Chantal Guy.

Il y a ici une rare occasion d’aborder la question des classes sociales, fait remarquer Sophie Lorain, et d’aborder un autre thème de l’intrigue : le culte de la perfection, par le truchement de la cuisine dernier cri. « C’est toujours bien rien que des cuisines ! », s’exclame la réalisatrice avec une pointe d’exaspération. « On est pognés dans un showroom de perfection, parce que c’est ça, l’univers d’Un lien familial. »

On a dit à ma génération qu’on pouvait tout avoir, la carrière, le mari et les enfants, et aujourd’hui, vous devez avoir tout ça, mais en plus, il faudrait que ça se fasse sans gluten, produits laitiers, allergènes et zéro déchet. La pression est toujours présente.

Sophie Lorain

Tout le monde ment et tout le monde est dans le déni dans cet univers à la fois drôle et poignant, fait d’êtres humains imparfaits qui veulent sauver les apparences, mais aussi ce « lien familial », car rien n’est plus jamais pareil quand il y a des enfants dans le décor. Le tout rehaussé par la trame sonore signée Dazmo et les chansons de Charlotte Cardin. Puisque les journalistes n’avaient vu que les deux premiers épisodes, Alexis Durand-Brault dévoile qu’il y aura aussi des chansons de Nicole Martin, une révélation pour lui.

Selon Nadine Bismuth, « cette série est la rencontre entre le désenchantement au féminin – Magalie – et le fantasme au masculin – Guillaume, résume-t-elle. À cela s’ajoute Mathieu, qui est dans le pays du mensonge. » Et puisqu’il s’agit aussi de famille, car chacun manœuvre entre la garderie ou la garde partagée dans sa double vie, c’est en plus une rencontre de générations – il faut voir le personnage de Chantal Fontaine courir les boutiques pour créer ce fameux brownie végane au cacao « cru » et aux patates douces ! « Je ne sais même pas comment faire un brownie », confesse Alexis Durand-Brault.

Toute cette belle cuisine écœurante avec du marbre, il n’y a personne pour manger dedans parce que tout le monde se chicane et divorce !

Alexis Durand-Brault, coproducteur de la série

La menace d’une cuisine vide est un peu la hantise de Magalie, attachée au souvenir du couple solide de ses parents, brisé par la mort de son père. Si elle endure ces jeux de cache-cache humiliants, c’est par espoir de préserver une famille pour ne pas faire souffrir son enfant.

« C’est au cœur du dilemme de Magalie, note Nadine Bismuth. Si elle n’avait pas eu sa fille, je pense qu’elle serait partie. Elle a été élevée comme nous toutes, elle est libre, mais le fait de devenir mère rend les femmes extrêmement vulnérables, et ça change leurs relations avec les hommes. La famille, c’est un sentiment de sécurité et d’appartenance. Elle a cette nostalgie de ne pouvoir reproduire cela. La mélancolie d’un monde perdu, où les structures familiales étaient plus stables. »

Un lien familial, sur l’Extra d’ICI TOU.TV, dès le 12 août