Les pensionnats autochtones, le racisme dans l’industrie du taxi des années 1980, la grève des médecins contre l’embauche du docteur juif Sam Rabinovitch en 1934, les allumettières de Gatineau qui ont fondé le premier syndicat féminin du pays, le traitement honteux réservé aux travailleurs chinois qui ont construit le chemin de fer canadien, l’émeute étudiante à l’Université Sir George Williams en 1969, le raid policier à Listuguj en 1981… Voilà des sujets abordés dans la nouvelle websérie documentaire de Télé-Québec, Décoloniser l’histoire, qui sera offerte à partir du 10 août sur son site web.

Dix capsules d’une dizaine de minutes, réalisées par Ky Vy Le Duc et animées par Maïtée Labrecque-Saganash, Vanessa Destiné et Youssef Shoufan, qui sont très engagés dans leurs communautés. Faciles à regarder en rafale et à partager sur le web, mais difficiles à digérer quand on n’a jamais entendu parler de certains évènements, elles ont le mérite d’ouvrir la porte à la réflexion. Pour être honnête, j’en aurais pris bien plus et bien plus longuement, tellement de nombreux épisodes de notre histoire balayés sous le tapis méritent d’être mieux connus pour éclairer le présent.

« Cette websérie s’adresse à moi dans le passé », estime l’artiste multidisciplinaire Youssef Shoufan.

C’est ce que j’aurais aimé entendre et apprendre quand j’étais à l’école. Chaque fois que je redécouvre l’histoire du Québec ou du monde, je me dis : “Comment ça se fait que je n’ai rien vu de tout ça ?”, et c’est pour moi problématique.

Youssef Shoufan

Nous sommes des générations à n’avoir rien appris, par exemple, de la réalité autochtone sur les bancs d’école. Youssef n’est pas seul dans ses questionnements. L’artiste et militante crie Maïtée Labrecque-Saganash l’a elle-même constaté dans son parcours scolaire. « Quand j’étais au primaire et au secondaire, il n’y avait presque rien sur nous. Un peu d’information précontacts avec les colonisateurs, puis on disparaissait jusqu’à la crise d’Oka ! Quand on parle de se reconnaître à l’écran dans les points de vue, c’est un peu ça, et c’est important. »

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Image tirée de l’épisode « Le 1er juillet : jour sombre de l’histoire des Chinois au Canada » de la websérie Décoloniser l’histoire, à propos des travailleurs chinois qui ont construit le chemin de fer

Parce que nous abordons l’histoire du Canada et du Québec, cinq des dix capsules concernent les autochtones, premières victimes du colonialisme sur ce territoire, souligne la journaliste Vanessa Destiné. À noter aussi qu’on ne peut se réfugier dans l’excuse de temps de ténèbres lointains, puisque les sujets abordés appartiennent beaucoup à l’histoire récente.

On est allés dans des sujets plus modernes pour lesquels il y avait de la documentation, du bon stock visuel. Les preuves sont là, appuyées sur une recherche historique, et c’est ce qui a beaucoup d’impact. Il y a quand même des histoires qu’on a eu le temps d’oublier collectivement, qu’on a minimisées, et pourtant, elles permettent de mieux comprendre les enjeux préoccupants d’aujourd’hui. Ça n’a jamais été autant d’actualité.

Vanessa Destiné

Entre autres parce que ça suscite encore beaucoup de résistance. Vous savez, ce fameux mot woke qui provoque ce qui ressemble de plus en plus à un syndrome de la Tourette chez certains qui en voient partout ? D’une certaine façon, Télé-Québec, avec Picbois Productions, persiste et signe après la websérie Briser le code, qui avait valu à Maïté Labrecque-Saganash de passer dans le tordeur des réseaux sociaux quand Jean-François Lisée s’était attaqué au concept de racisme systémique exposé dans cette série, avec une photo de Maïtée publiée sur Twitter. Elle a tellement été prise à partie, confie-t-elle, qu’elle s’est réfugiée pendant quelques jours dans un hôtel, à regarder des films, cellulaire fermé, en attendant que ça passe. Fille de l’ancien député Romeo Saganash, elle sait combien on a toujours tenté de discréditer la parole autochtone. « Je me suis souvent fait accuser de révisionnisme historique pour avoir mentionné les enfants qui ne sont jamais revenus des pensionnats. Maintenant qu’on découvre les fosses communes, c’est silence radio chez ces gens-là. Il y a encore des gens comme Denis Vaugeois qui disent que les pensionnats sont une réalité canadienne. Il a dit, en passant, que mon père mentait sur son expérience du pensionnat, et il ne s’est jamais excusé. »

« On s’adresse aux gens qui sont étonnés que la statue de John A. Macdonald soit déboulonnée, ajoute Youssef, qui déplore que les débats soient si clivés. Quand tu sais ce qui s’est passé, tu as peut-être envie de garder Macdonald dans les livres d’histoire plutôt que de le célébrer avec une statue. Malheureusement, on est de plus en plus éloignés des bons et importants débats de société. »

Vanessa Destiné estime, quant à elle, qu’elle n’a pas de temps à perdre avec les démagogues. « Je m’en câlisse, tu peux l’écrire ! Que les gens nous accusent d’être woke, ça me fait sourire. Je suis dans l’une des provinces les plus woke du Canada, l’une où on est le plus conscients de l’histoire, des rapports de forces, des inégalités et des fossés. La majorité francophone détient le pouvoir grâce à des mouvements de libération super importants, qu’il faut souligner. Pourtant, on n’est pas capables d’avoir le recul nécessaire pour voir combien, nous aussi, on bénéficie de ces rapports de force inégalitaires, comment on peut être la voix dominante dans un discours, dans une relation avec une autre communauté. Beaucoup ont l’impression qu’on essaie de gommer leur identité à travers le multiculturalisme canadien à la Trudeau, mais ce qu’on demande, c’est d'élargir les perspectives, de comprendre comment on participe malgré nous à des systèmes oppressifs. »

Et bien qu’elle n’ait rien à voir avec les pensionnats autochtones, puisqu’elle est une femme noire dont les parents sont arrivés au Canada dans les années 1980, précise-t-elle, cette question l’interpelle. « Parce que mes parents sont venus ici pour avoir un meilleur niveau de vie, attribuable au fait qu’on a tassé les autochtones du territoire. On exploite leurs ressources, leurs terres, et j’en bénéficie. »

Je me dis que plutôt que de nous sentir menacés, nous devrions méditer les derniers vers du poème Speak White, de Michèle Lalonde, récemment disparue : « Nous savons que nous ne sommes pas seuls. »

La websérie Décoloniser l’histoire sera offerte sur le site web de Télé-Québec dès le 10 août.