C’est un objet culturel fascinant que l’émission spéciale Inside, du jeune humoriste américain Bo Burnham, offerte sur Netflix depuis le 31 mai. C’est à la fois drôle, profond, touchant et hyper déstabilisant.

C’est aussi difficile à décrire pour rendre pleinement justice à cette œuvre formidable qui croule — avec raison — sous les critiques élogieuses (chef-d’œuvre, tour de force, expérience sociale déroutante, classique moderne !).

Inside se démarque nettement des émissions d’humour traditionnelles de Netflix, toujours captées en formule standard avec tabouret, micro et public hilare. Comme son nom l’indique, Inside se déroule dans une seule pièce de l’appartement de Bo Burnham, à Los Angeles. Pendant un an de pandémie, le comique de 30 ans a braqué la caméra sur lui-même et il nous parle directement pendant 90 minutes.

Il chante des chansons satiriques qu’il a composées, commente l’état de sa dépression, épilogue sur l’évolution de sa pilosité faciale et saute dans le commentaire politique éclairé. Et Bo Burnham fait tout ça tout seul. La caméra, le montage, les éclairages, la mise en scène, les textes, la musique, tout. C’est un artiste multidisciplinaire, capable d’intégrer à son matériel humoristique des éléments de théâtre, de cinéma et même de concert rock.

Bo Burnham manie également le léger et le lourd avec une dextérité impressionnante. Il se moque des comptes Instagram de femmes blanches, il raille le wokisme intéressé des grandes entreprises et il rigole devant les difficultés que représente un « FaceTime » avec sa mère, pour ensuite s’attaquer à l’exploitation des travailleurs au bas de l’échelle sociale ainsi qu’au péril des réseaux sociaux.

On n’a jamais l’impression de se faire faire la morale, car Bo Burnham pose un regard critique — et extra lucide — sur son passé parfois problématique, son statut assumé de « signaleur de vertu » et sa pertinence dans l’écosystème comique.

Dans le milieu de l’humour, Bo Burnham est admiré depuis plusieurs années. Les humoristes Pierre-Yves Roy-Desmarais, 26 ans, et David Beaucage, 32 ans, font partie de ses fans.

« Il amène l’humour ailleurs. Dans Inside, il n’a pas de public devant lui. Il n’a donc pas à subir la dictature du rire. Moi, je trouve Inside pas mal plus chamboulant que drôle. C’est un film avec des sketchs, des tounes, du stand-up et du documentaire. Il utilise plusieurs médiums et c’est un voyage qu’il nous fait faire », note Pierre-Yves Roy-Desmarais, lui aussi un musicien accompli (piano, guitare, batterie).

David Beaucage suit la carrière de Bo Burnham depuis 12 ans. Il l’a vu en spectacle à Montréal, Toronto et Burlington.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Scène de Inside

« Il y a beaucoup de stock dans Inside. Ça prend au moins deux ou trois visionnements pour comprendre l’ampleur du projet, autant dans la forme que dans le fond. Il y a tellement d’informations qui passent à la seconde. C’est construit comme un film en trois actes. C’est quasiment une comédie musicale, car sur une heure trente d’émission, il y a au moins une heure de chansons », remarque David Beaucage, qui a écrit plusieurs pièces humoristiques avec son ami Pierre-Yves Roy-Desmarais.

La première moitié d’Inside verse dans le plus rigolo, tandis que la deuxième partie devient plus sombre avec des plongées dans l’anxiété et la pression de performance. C’est habilement amené, avec intelligence et sensibilité.

Bo Burnham est un gars brillant et très cultivé. Il est en symbiose avec son époque. Il redéfinit ce que constitue une émission spéciale d’humour. Il monte la barre pour tous les autres.

David Beaucage

Des crises de panique empêchent Bo Burnham — Robert Pickering Burnham, de son vrai nom — de monter sur scène depuis cinq ans déjà. Voilà pourquoi l’humoriste a autant diversifié son portefeuille artistique. Il a notamment écrit et réalisé le long métrage 8th Grade, il a publié un recueil de poésie, en plus de jouer dans l’excellent film Promising Young Woman, d’Emerald Fennell. Il y incarne le copain de l’héroïne (Carey Mulligan).

Et comme Bo Burnham a été découvert sur YouTube en 2006, alors qu’il n’avait que 16 ans, il maîtrise tous les codes associés à la culture web. C’est franchement impressionnant. « Bo Burnham reste pertinent parce qu’il a beaucoup de recul sur lui-même. Il se remet en question, il n’est pas prisonnier de la culture du stand-up. On admire tous son génie créatif », complète Pierre-Yves Roy-Desmarais.

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Scène de Inside

Pour couronner le tout, Bo Burnham possède le sens de la mélodie d’un auteur-compositeur pop. Ses chansons, comme All Eyes on Me (ma préférée), Welcome to the Internet ou Sexting, s’écoutent seules, sans avoir besoin du contexte du spectacle pour les apprécier. Vous pouvez les écouter sur Spotify ou Apple Music.

Je vous laisse sur les douces paroles de White Woman’s Instagram, probablement la chanson la plus connue du beau Bo Burnham : « De la neige fraîchement tombée, un dessin dans de la mousse de latté, est-ce le paradis retrouvé ou le compte Instagram d’une femme blanche en santé ? » (Oui, j’ai rajouté des rimes, pas besoin de déposer une plainte à l’ombudsman, merci.)