Dans les entrevues avec des personnes centenaires, on leur pose toujours la question du secret de leur longévité et je lis immanquablement les réponses. C’est parfois le petit verre quotidien de brandy, un œuf cru tous les matins ou une cuillère d’huile d’olive par jour. Ça semble trop simple pour être vrai, en plus de faire fi d’un bon bagage génétique, mais face à des gens qui ont atteint 100 ans en bonne santé, on ne peut pas répliquer grand-chose, malgré nos doutes et nos certitudes.

On apprend d’ailleurs que le brandy a très longtemps été considéré comme un remède plutôt qu’une boisson dans le joli livre Les remèdes de grand-mère au Québec de l’historienne et agricultrice biologique Mia Dansereau-Ligtenberg, illustré par Mathilde Cinq-Mars. J’ai beau être une personne terriblement terre à terre, les remèdes de grand-mère me fascinent, tellement ils sont d’une grande variété qui raconte une histoire populaire de la médecine. De la douce évidence du miel et du citron pour les maux de gorge à l’étrangeté d’un bandeau de rondelles de patates crues appliquées sur le front pour les migraines, jusqu’au surnaturel, quand on mêle une neuvaine à genoux avec une quelconque potion.

Peut-être aussi parce que ma mère m’a infligé quelques remèdes bizarres quand j’étais petite, en dépit de mes lamentations. Il faut dire qu’ayant été élevée par sa grand-mère et son arrière-grand-mère qui lui ont imposé des gorgées de Castoria, elle avait toute une panoplie de trucs pour « faire passer le mal » (avec cette idée que plus ça goûte méchant, mieux ça fonctionne) et j’ai probablement dû faire partie des derniers enfants à porter à l’école un carré de camphre attaché à mes chandails. Mais l’anecdote la plus étonnante, c’est lorsque, à bout de nerfs parce que je hurlais de douleur depuis des jours à cause d’une otite, ma mère, qui était enceinte de mon frère, s’est fait dire qu’il n’y avait rien de mieux que de l’urine de femme enceinte bouillie versée en petites gouttes dans l’oreille pour faire passer ça. Il paraît que ç’a été miraculeux, comme le frère André qui aurait guéri la cécité de mon arrière-grand-mère.

Mia Dansereau-Ligtenberg nous rappelle qu’il y a plus d’un siècle, ce sont les femmes qui ont été les premiers médecins de famille, chargées de la santé de tous les membres de la maisonnée.

Un médecin coûtait cher, et la science n’étant pas avancée comme aujourd’hui, le doc dont on se méfiait était en concurrence avec les remèdes transmis de génération en génération en sororité.

C’est un peu ces histoires que l’auteure veut honorer dans Les remèdes de grand-mère au Québec.

On se demande comment se sont développés certains remèdes qui utilisaient des rognons de castor, des mouches de moutarde et du sirop de fleurs de lilas, mais on se doute qu’ils sont nés de la nécessité (et d’un peu d’amour), avant la pharmacopée d’aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui y tiennent encore, à ces remèdes. Nul besoin d’aller du côté des antivaccins ou des combattants du « Big Pharma » pour ça : vous n’avez qu’à poser la question autour de vous ou à voir tous les sites web de trucs-de-grand-mère-qui-marchent-pour-vrai. Je ne connais personne qui n’a pas essayé au moins une fois un remède de famille et qui n’hésite pas à le recommander. « Les médecines douces sont encore très populaires aujourd’hui alors qu’au Canada, 70 % de la population dit consommer des produits de santé naturels, écrit l’auteure. Dans certains pays comme la Chine, elles sont intégrées au système de santé gouvernemental. »

En Occident, les remèdes de grand-mère ont été écartés du système et ont fini par être frappés de mépris. « La grand-mère est le symbole même de la médecine populaire, de la tradition et donc de l’ignorance selon les médecins », note Mia Dansereau-Ligtenberg. Ces remèdes ainsi transformés en un visage de l’obscurantisme face aux lumières de la science moderne, on devine que malgré tout, nombreuses ont été les jeunes mamans désespérées devant les bobos de leurs bébés qui n’ont pas hésité à appliquer certaines solutions familiales éprouvées, ce qui explique leur longévité dans le temps. Des remèdes dont les ingrédients étaient à portée de main, au garde-manger ou dans le jardin, et pour toutes les bourses. Ce sera même une manne pour Edouardina Lesage qui tiendra pendant 54 ans « Le courrier de Colette » dans La Presse où elle prodiguera ses conseils notamment sur la santé, ce qui en fera « la journaliste la plus lue au Canada français » !

L’histoire humaine est au fond un long dialogue entre le corps et la nature qui l’entoure, une incessante quête de soulagement des maux et douleurs physiques, ce qui faisait dire aux grands-mères que la santé, c’est quand le mal change de place. Il faut dire qu’elles étaient aux premières loges, c’est-à-dire au chevet de leurs proches, et non derrière un bureau.

Quelques remèdes qu’on trouve dans Les remèdes de grand-mère au Québec

  • Le thé de fleurs de sureau froid comme rince-bouche et compresse pour les yeux fatigués
  • La rhubarbe pour les troubles intestinaux et la gingivite

  • Le gingembre contre la nausée

  • Des flocons d’avoine dans un bain tiède pour les éruptions cutanées

  • Un sachet de thé froid pour atténuer la douleur d’un feu sauvage

  • L’huile de camomille pour le mal d’oreille
  • Le sirop de fleurs de lilas pour combattre le blues de l’hiver
Les remèdes de grand-mère au Québec

Les remèdes de grand-mère au Québec

Marchand de feuilles

189 pages