Dans sa chronique humoristique Fâché noir sur le site Yahoo!, l'écrivain Stéphane Dompierre s'en est pris récemment au Salon du livre de Montréal. «Le Salon du livre est une formidable occasion pour l'écrivain de rencontrer son lecteur, écrivait-il. Mais son lecteur préfère habituellement se mettre en file pour aller observer Josée di Stasio, Michèle Richard ou maman Dion de plus près.»

C'est assez vrai. Au Salon du livre, le vedettariat fait de l'ombre aux écrivains, qui sont tout sauf des vedettes - à quelques rares exceptions. C'est une étrange religion que le culte de la célébrité, qui transforme les gens les plus insignifiants comme les plus talentueux en êtres à part du seul fait qu'ils passent à la télé, bien plus qu'en publiant un livre. Car l'inverse est rare: ce n'est pas parce que vous publiez un livre que vous passerez à la télé.

Mais parfois, l'insignifiance peut faire signe, peut faire sens. Cet automne, deux écrivains français ont trempé leur plume dans l'encre noire du star-system: Jean Rolin avec Le ravissement de Britney Spears et Simon Liberati avec Jayne Mansfield 1967 - ce dernier a d'ailleurs remporté le Femina pour ce roman, un hommage à Kenneth Anger, l'auteur du célèbre Hollywood Babylon.

Ce doublé littéraire trahit une fois de plus la fascination des Français pour les Américains, mais la vision cauchemardesque, voire dantesque, de ce monde glamour en apparence, fixée par Anger, y demeure intacte. Le héros de Jean Rolin, agent secret, poursuit partout dans Los Angeles une Britney Spears traquée par les paparazzis, alors qu'il n'a pas de voiture dans cette ville allergique aux piétons.

La voiture est d'ailleurs un élément central du roman de Liberati, puisque la légende entourant Jayne Mansfield est née de sa mort brutale au volant de sa Buick, la rumeur (fausse) voulant qu'elle ait été décapitée. Liberati prend un malin plaisir à décortiquer la scène de l'accident dans ses moindres détails, tandis que Rolin s'amuse à décrire les lieux à la mode de L.A., la faune des paparazzis, la machine infernale des sites et des revues à potins.

Dans les deux cas, nous ne sommes pas tant dans la vie intime des stars que dans le bourbier d'un star-system qui nous happe tous, pas seulement les vedettes. Comment expliquer cette fascination sinon que les stars font partie, qu'on le veuille ou non, de notre imaginaire collectif? Les tabloïds créent un mauvais soap en continu dans l'arrière-boutique de notre psyché, c'est certain, et les stars prennent souvent plus de place dans nos têtes que les personnages de romans. Les passer dans le tordeur de la littérature n'est peut-être qu'un acte d'autodéfense. Ou une manière d'intégrer dans les lettres un peu de cette culture populaire qui s'écrit trop souvent comme un roman de gare.

Ces propositions littéraires sur des starlettes sont bien plus intéressantes que les biographies qui tentent de préserver l'éclat des étoiles, malgré la fausse promesse de vouloir tout nous révéler. L'envers du décor décrit par les vedettes, on le sait, fait partie intégrante du show, car il n'y a pas de destin sans embûches. Plus une vedette veut se révéler, plus elle alimente sa légende, puisqu'elle travaille avant tout son image, sa principale création, même en se croyant sincère. Surtout en se croyant sincère.

C'est le cas par exemple de l'autobiographie de Michèle Richard, Dressée pour être star, dans laquelle on lit en introduction : «Qu'on le veuille ou non, par ma faute ou non, mon histoire n'est pas ordinaire. Elle s'est développée en une sorte de comédie dramatique.» Il y a une lucidité intéressante dans cette affirmation: comédie dramatique. La plupart des vies sont des comédies dramatiques. Le livre est rempli de potins et de confidences à se mettre sous la dent - les coulisses du psychodrame de Garden Party, c'est une pièce d'anthologie, plus comédie que drame, en vérité - mais on se demande, après avoir lu Rolin et Liberati, ce qu'un écrivain québécois pourrait faire avec ce personnage: Michèle Richard.

Le narrateur de Rolin récite des extraits de Dernières séances, le roman de Michel Schneider sur Marilyn Monroe, à une prostituée qu'il se tape, vague sosie de Britney, qui lui répond: «La littérature, c'est tout de même autre chose que cette boule blanche qui s'allume lorsque l'artiste est en ville...». En effet. La littérature, contrairement aux miroirs des voitures, n'a pas d'angle mort.