La télévision ne devrait jamais appartenir aux puristes. Les nostalgiques qui s'ennuient de l'époque où il n'y avait qu'un poste diffusant «la grande culture» ressemblent à ceux qui regrettent le communisme. Il y avait moins de chaos, certes, mais il n'y avait pas de choix.

Mais avons-nous vraiment plus de choix? Les puristes de la cote d'écoute ont-ils remplacé les puristes du bon goût?

Il a été décidé que le Gémeaux hommage à Victor-Lévy Beaulieu allait être remis hors d'ondes. VLB a refusé d'aller le chercher dans l'ombre. Sur scène ou boudant la scène, VLB allait faire un esclandre, c'était écrit dans les astres, et on n'en attendait pas moins du polémiste. Cela aurait fait un sacré moment de télévision d'ailleurs, dans un gala qui s'étirait en longueur. Stéphan Bureau a défendu l'écrivain, en disant «qu'on ne rend pas hommage du bout des lèvres». Après tout, c'est le spécialiste des hommages à Juste pour rire depuis des années.

Stéphan Bureau incarne à la fois la télévision d'aujourd'hui et sa résistance. Abordant avec le même professionnalisme et le même respect les humoristes dans ses grandes entrevues à ARTV que les écrivains et les penseurs dans sa série Contact. Et dans les deux cas, dans des «grosseurs» étonnantes au petit écran, comme VLB nous impose des grosseurs titanesques par ses romans. En ce sens que le combat de Bureau n'est pas seulement la qualité, c'est aussi le temps, qui manque cruellement à tous les artisans de la télévision.

Le divertissement et la culture ont tous les deux le droit d'exister. J'aime bien l'adaptation québécoise de The Price is Right, parfaitement hilarante, et j'aime aussi Bazzo.tv. Pour la littérature, par contre, je dois me rabattre sur les vieilles émissions de Bernard Pivot au Canal Savoir. La littérature, que j'aime plus que tout au monde, n'existe pas à la télé. Pourtant, on n'arrête pas de me dire que ma télé «me ressemble».

C'est la superposition qui fait problème. Un mépris des téléspectateurs était évident lors de l'émission spéciale pour l'ouverture de la nouvelle salle de l'OSM. En pleine Neuvième Symphonie de Beethoven, une succession d'artistes et d'écrivains nous expliquaient combien la Neuvième était merveilleuse, un chef-d'oeuvre de l'humanité, messieurs-dames - comme si on ne le savait pas. Ça parlait avec intensité et poésie par-dessus la Neuvième. On voit si peu les écrivains à la télévision, et pourtant, jamais ils n'auront été aussi embêtants que lors de cette retransmission. Des danseurs, du cirque, du verbiage, alors que, comme téléspectateurs, tout ce qu'on voulait, c'était de découvrir de loin l'acoustique de cette nouvelle salle, de voir les musiciens au travail, d'entendre la Neuvième de Beethoven. Pourquoi nous traiter comme des demeurés? On n'aurait jamais fait subir ça à n'importe quel show rock.

Notre télévision est censée représenter ce que nous sommes, ils n'arrêtent pas de nous le dire dans les pubs c'est VOTRE poste, VOS vedettes, VOTRE vie. Et pourtant, de plus en plus de réalités y sont évacuées. Là-dessus, VLB a raison. Les régions et la culture, notamment. La culture est-elle la «région» de l'espace médiatique? Et la région, une culture trop pointue pour les médias? Qui sait. Mais ce n'est pas parce qu'on évacue certaines réalités du petit écran qu'elles n'existent pas. Dans ce cas, ce ne sont pas les absents qui ont tort, mais ceux qui imposent leur absence qui se trompent.

Citation

«Ces gens, je veux dire tes parents, a-t-il dit, n'ont pas seulement pris un abonnement au théâtre et au concert, ils vivent leur vie par abonnement, ils assistent aussi chaque jour à leur vie comme ils vont au théâtre, à une comédie exécrable, et n'ont pas honte d'assister à leur vie comme à un concert détestable où seules dominent les fausses notes, et ils vivent parce que cela se fait, non pas parce qu'ils l'ont voulu, parce que c'est leur passion, leur vie, non: parce qu'ils y ont été abonnés par leurs parents.»

-Extinction de Thomas Bernhard, dont des extraits seront lus par Serge Merlin au Théâtre Prospero, du 26 septembre au 1er octobre.