De retour d'un voyage au Portugal cet été, mon adorable belle-mère a rapporté dans ses valises plein de cadeaux «littéraires»: un t-shirt Pessoa, des Post-it Pessoa, une tasse à café Pessoa, des figurines magnétiques Pessoa pour le frigo, des cartes postales Pessoa... Il y aurait aussi des cahiers, des agendas, des sous-verres, des calendriers, et bon nombre de «bébelles» Pessoa.

Fernando Pessoa, grand écrivain portugais, est une attraction touristique en son pays natal, où les visiteurs adorent se faire photographier en compagnie de se sa reproduction au café A Brasileira de Lisbonne. Et ce, même s'il est mort précocement d'une cirrhose à 47 ans en 1935, pauvre et pratiquement inconnu de tous sauf d'un groupe d'amis. Ce n'est qu'à la fin des années 60 qu'on a redécouvert son oeuvre, principalement contenue dans une valise; des milliers de manuscrits tous écrits sous différents noms - Pessoa veut dire «personne» ou «masque»...

Que doit-on penser de cette transformation en mascotte d'un écrivain majeur de la littérature du XXe siècle, dont la dernière phrase écrite à l'agonie aura été «I know not what tomorrow will bring»? En effet, il ne pouvait pas deviner une telle chose. Pessoa l'introspectif, l'insaisissable maniaque des «hétéronymes», l'homme mélancolique derrière Le livre de l'intranquillité, qui n'a pas quitté son pâté de maisons à Lisbonne pendant 30 ans?

Même posthume, on ne peut regretter la reconnaissance faite au talent d'un écrivain. Mais d'en faire pratiquement une marque de commerce, c'est plutôt curieux, et on doute fort que tous les touristes qui achètent les t-shirts ont vraiment lu ses livres. Ce doit être la même chose pour Kafka à Prague.

De la vulgaire récupération mercantile ou de la fierté nationale? Probablement les deux. On vénère tellement les grands écrivains qu'on les voudrait intouchables, mais si l'on vend l'huile du saint frère André, pourquoi pas une tasse à café Pessoa? Il y a en fait quelque chose de sympathique à l'idée que les Portugais affichent autant d'enthousiasme pour un de leurs écrivains. On espère au moins que tous ces produits dérivés font justement dériver les touristes vers une librairie qui vend les livres de Pessoa...

Qu'attend donc Montréal pour exploiter autrement que par leurs rémunérations ses écrivains? Le Stade et la croix du mont Royal sur les cartes postales, ça manque de variété. Ce n'est pas sans un plaisir un peu pervers qu'on pourrait imaginer les collégiennes de Villa-Maria portant des t-shirts avec l'image de Hubert Aquin. C'est avec audace qu'on pourrait afficher en bombant le torse «Je suis follement gai!» de la Romance du vin de Nelligan. Et l'on pourrait savourer une petite revanche en se faisant  photographier auprès d'une reproduction de Réjean Ducharme, qui a toujours fui les caméras - mais ça, ce serait vraiment un sale coup à lui faire.

On n'arrête pas le progrès

Le Guardian Books nous a appris cette semaine qu'il est maintenant possible d'ajouter une bande sonore à nos livres, gracieuseté d'une nouvelle compagnie, Booktrack (https://boocktrack.com). La musique, ou l'environnement sonore, se synchronise avec notre vitesse de lecture sur tablette numérique. Le bruit des vagues en lisant Le vieil homme et la mer? Est-ce vraiment nécessaire?

Insolite

Le logiciel de calcul en ligne Wolfram Alpha vous propose de calculer le temps qu'il vous faudra pour venir à bout d'un livre. Vous n'avez qu'à entrer le nombre de pages pour le savoir. Ainsi, pour lire les 718 pages du dernier roman de Jonathan Franzen, Freedom, cela vous prendra approximativement 22 heures. Je compte l'utiliser pour justifier mon horaire à mes patrons. (www.wolframalpha.com).