Voilà un autre cas troublant, après celui de Jean-François Harrisson, et il se déroule cette fois dans le milieu de la littérature jeunesse. Maxime Roussy, auteur de la populaire série Le blogue de Namasté, qui raconte les tribulations quotidiennes d'une ado, a été accusé cette semaine d'agression sexuelle sur l'une de ses lectrices, mineure.

Laissons la justice suivre son cours, et attardons-nous plutôt sur la littérature et la morale. Pensons à tous ces parents qui scrutent de près les lectures de leurs enfants, et qui sont aujourd'hui confrontés à la dure tâche d'expliquer une telle affaire. Ces parents qui choisissent scrupuleusement les livres de la bibliothèque familiale, qui choisissent précisément la littérature jeunesse pour préserver l'innocence de leur progéniture, sinon un minimum d'intérêt pour les livres - et, peine perdue, la perversité se fraie malgré tout un chemin dans la muraille.

Comme il doit être épuisant d'être parent, quand on doit en plus surveiller le cinéma, la télé ou l'ordinateur, avec ce fol espoir de repousser au plus tard la découverte inévitable des réalités les plus glauques. Il fallait lire les commentaires haineux des jeunes lectrices sur la page Facebook de Maxime Roussy pour comprendre vraiment le choc de cette nouvelle. Steve Proulx, auteur de la série Le cratère, me disait en entrevue que les jeunes ont en général des émotions « mal dégrossies «, que leur admiration et leur amour intenses peuvent se transformer en une réaction particulièrement violente dans une situation pareille. Et c'est le cas sur les réseaux sociaux. « Maudit dégeulasse crisse dire que j'tavais dans la face à l'école quand t'es venue « ou « Gros pedaut de marde « (sic) en sont quelques exemples éloquents.

Parfois, on se demande si les vieux contes comme Le petit chaperon rouge ne préparaient pas mieux les enfants au monde qui les attend. Mais, à les lire sur Facebook, on se rend compte qu'ils ne sont pas aussi naïfs qu'on le pense. Comme les adultes, ils aiment le rêve. Ils sont déçus qu'on pète leur « balloune « et réagissent en conséquence. C'est moi qui suis naïve, en me disant qu'il ne leur arriverait jamais des choses comme ça s'ils lisaient quelques classiques révélateurs de la condition humaine, écrits par des écrivains morts. Tout en sachant qu'il y a beaucoup de choses qui ne s'apprennent pas dans les livres...

Elle sont atrocement ironiques, les histoires de pédophilie révélées dans les lieux mêmes où l'on célèbre l'enfance. La trahison est multiple. Il y a le crime, bien sûr, mais aussi ce lien de confiance brisé entre l'artiste et son public, constitué à la fois des jeunes et de leurs parents, dans une espèce de fantasme de cordon sanitaire contre les saletés du monde. C'est finalement l'histoire du loup dans la bergerie, et ça nous ramène au Petit chaperon rouge, dupé par le loup déguisé en grand-mère. La sécurité est une illusion, la paranoïa peut s'installer. C'est pourquoi il est inutile de s'attaquer aux livres, puisque le mal est avant tout dans l'homme et sa fiancée. Rien de plus absurde que ces cabales contre des livres « mauvais « qui ne seraient pas « de leur âge «, alors que l'enfance est par nature une infériorité dans un monde gouverné par les adultes, où les jeunes sont parfois perçus simplement comme un marché lucratif.

Et comme on est heureux, des fois, de ne plus être jeune. De ne plus être à la fois surveillé et une proie. Pour le marquis de Sade d'ailleurs, la jeunesse est un état de victime, elle est vouée à l'usure, à la corruption, à la désillusion, à l'exploitation. Il y a des avantages à vieillir, et il existe heureusement beaucoup de livres pour nous aider à grandir, les meilleurs étant souvent écrits par les gens les plus ouvertement louches...