Chaque rentrée me rappelle ces profs sans imagination qui nous demandaient de pondre une dissertation sur ce que nous avions fait de notre été. Mes parents n'étant pas très voyageurs, je n'avais pas grand-chose à raconter, et il me fallait péniblement broder sur ces deux mois que j'avais principalement consacrés à la lecture et à la chasse aux grenouilles. D'où venait cette obsession qu'il fallait avoir fait quelque chose? Les vacances, ce n'était pas justement ne rien faire, pour une fois? N'ayant pas encore les moyens intellectuels de disserter sur le rien, je faisais semblant d'avoir été occupée. L'ennui total.

Parlant d'occupation, vous avez passé l'été avec la Trilogie berlinoise de Philip Kerr, n'est-ce pas? Ne mentez pas, je l'ai vu partout, jusque dans les palmarès. J'aurais eu l'impression de passer à côté de quelque chose si Foglia n'avait pas insisté pour dire que c'est nul. Il évolue dans les hautes sphères, je ne pense pas qu'il connaisse le Métasecret, un autre succès estival...

Mais j'étais à Berlin, moi aussi, cet été: avec deux ans de retard, j'ai fini Les Bienveillantes de Jonathan Littell, tiré des limbes de ma bibliothèque après avoir regardé pour la troisième fois la série documentaire Apocalypse, ce qui m'a menée au journal d'Une femme à Berlin - sur la dure réalité des civils, particulièrement des femmes, les premiers jours après la chute du Reich - et j'ai poursuivi dans la foulée avec L'espèce humaine de Robert Antelme, l'ex de Duras qui a survécu aux camps de concentration, ce qui m'a donné envie de relire La douleur de Madame.

Mon chum a trouvé cela insupportable.

- Pourquoi lire tant d'horreurs en vacances? Pourquoi passer des heures sous les bombes et dans les camps de concentration quand le soleil brille sur le lac?

- Par culpabilité, peut-être. N'oublie pas d'acheter le Brouilly en passant par la SAQ et la Tomme de Grosse-Île au marché. Ne lésine pas sur la portion, s'il -te-plaît, ils étaient en rupture de stock la semaine dernière.

Toutes ces pages sur les tickets de rationnement et les rêves de bouffe des prisonniers me donnent faim. Je me sens comme un devoir de manger au cas où je me retrouverais dans une situation pareille, c'est une forme d'hommage. Je m'imagine en train de me maudire d'avoir un jour chialé contre mes kilos en trop et d'avoir tenté des régimes ridicules. Je mange pour ceux qui ont eu faim, pour ceux qui ont faim, et je ne gaspille rien. Je n'ai décidément rien d'une Simone Weil. Enfin, je préfère me nourrir, dans tous les sens du terme, à m'occuper, disons. C'est ma forme de résistance.

Ce qui nous ramène à cette rentrée. C'est toujours un débarquement, la rentrée littéraire, et une grande occupation pour ceux qui sont concernés. On voit les livres arriver comme l'armada alliée sur la plage de Normandie. Tel un soldat, nous les affrontons un par un, dans un corps à corps souvent intense. C'est un noble combat qui n'a rien de sanglant. Déjà au front, pour vous servir, j'ai plusieurs captures à mon actif et j'ai très hâte de vous les dévoiler, semaine après semaine. Tout ce que je peux vous dire pour l'instant, c'est qu'il s'agit d'une excellente rentrée, meilleure que celle de l'an dernier à mon humble avis. Bref, les carottes sont cuites... mais ce n'est pas la fin des haricots!