J'ai raté le débat sur les lectures scolaires pendant que j'étais en Haïti. En fait, je n'ai rien raté du tout; il y a de ces débats qui s'éternisent et qui nous donnent l'impression qu'on n'est jamais parti, et même qu'on n'a pas avancé d'un pouce. J'étais ado qu'on se déchirait périodiquement sur la même question: Que faire lire aux élèves? La littérature avec un grand L ou platement « des livres «, sans soucis de hiérarchie?

Le débat se présente toujours en ces termes, dans l'urgence et la panique, tous convaincus que nous sommes à chaque nouvelle génération qu'elle sera la dernière à savoir lire. Présenté comme ça, impossible de se calmer, il n'y a pas de temps à perdre, l'heure est sans cesse grave, il faut donc choisir entre la littérature ou décoder l'alphabet. L'analphabétisme étant un problème bien plus grave que le manque de culture, vu sous cet angle.

 

Il me semble que le réel danger est ailleurs. Au-delà des grands discours sur le culte de l'effort et du besoin d'élever l'esprit, il y a ce défi de résister au rouleau-compresseur d'une certaine industrie culturelle pour qui l'apathie ambiante est une source très intéressante de profits, et qui ne trouve aucun avantage à la diversité culturelle.

Si je suis contre l'idée de mettre au programme un livre aussi populaire et aimé des ados que Twilight - succès sympathique auquel j'aurais probablement succombé si j'avais 14 ans-, ce n'est pas pour en retour leur enfoncer dans la gorge les vers de Victor Hugo . C'est tout bonnement parce que les élèves n'ont pas besoin d'être « introduit « à Twilight - qui de plus a été adapté au cinéma. C'est d'une inutilité totale. Pourquoi pas Bram Stocker, le père du vampire littéraire, histoire de remonter à la source et de rappeler une filiation, au moins?

La culture populaire de chaque génération est produite par cette « pression des pairs «, ce besoin de partager des références communes. Hier, c'était Stephen King, aujourd'hui, c'est J.K. Rowling. Ce n'est pas seulement son talent et le marketing qui l'entoure qui font lire les Harry Potter. C'est aussi cette peur de passer à côté d'un incontournable pour faire partie de la bande. Cela leur appartient, n'allons pas gâcher leur plaisir en en faisant une lecture obligatoire.

J'ai eu peur lors d'un récent séjour dans un tout-inclus à Cuba - j'ai eu peur aussi en Haïti, mais pour de toutes autres raisons, dont aucune n'était littéraire. Les touristes choisissent ces endroits formatés pour ne pas avoir à sortir de leur idée du confort et de la sécurité. Eh bien, il en va de même pour leurs lectures. Sur la plage, tout le monde lisait Stephenie Meyer, J.K. Rowling et Dan Brown - je parle de lecteurs adultes, ici. Je me sentais bien seule, presque gênée, avec mon Pascal Quignard.

Les forfaits tout-inclus incluent-ils aussi un rabais au rayon des bouquins chez Costco? Ou existe-t-il simplement une littérature « tout-inclus « - un peu de sang, un peu de sexe, un peu de magie, un peu d'action, le tout dans une langue abordable?

Il n'y a rien de mal à lire ces best-sellers, mais il y a quelque chose de très étrange à voir tous ces vacanciers sur la plage avec les MÊMES livres entre les mains, et cela, dans un pays communiste où ils trouvent pourtant bien drôle de ne trouver partout que des livres sur le Che et Fidel Castro.

L'école doit résister à la mode, qui est précisément ce qui se démode. Elle n'a pas le droit de se conformer à la logique marchande en offrant ce qui s'impose partout à grand coups de pubs, de ne parler que de ce dont tout le monde parle, de ne vendre que se qui se vend, de se soumettre au rétrécissement général en se cachant derrière une apparence d'ouverture d'esprit qui n'est finalement qu'une défaite devant la masse. Si l'école ne remplit pas sa mission de faire prendre conscience aux élèves qu'il existe une littérature nationale, une littérature écrite en français sur tous les continents, des livres publiés avant l'an 2000, différents genres et des styles qui ne se limitent pas qu'aux phrases sujet-verbe-complément, qui le fera? Qu'est-ce qu'on veut former, des lecteurs libres de bouquiner largement ou des lecteurs programmés pour les best-sellers en vente de gros chez Wal-Mart?