L'an dernier à pareille date, le monde vibrait pour Obama. J'étais alors plongée dans l'oeuvre de James Baldwin, que je redécouvrais après les émeutes à Montréal-Nord. Pendant toute une soirée entre amis, nous avions discuté de cela, Dany Laferrière et moi. Obama, Baldwin, Villanueva. S'il partageait l'enthousiasme général pour la montée d'Obama, il déplorait la presse toujours négative dans sa couverture de Montréal-Nord, où elle n'apparaissait que lorsqu'il y avait le feu.

Je suis certaine qu'il pensait à cela mercredi soir, à la librairie Olivieri où le milieu littéraire était réuni pour célébrer son prix Médicis pour L'énigme du retour, quand il a lancé: «Il faut que les gens sachent ce que j'ai toujours voulu qu'un jour il se passe: que je sois une bonne nouvelle pour les Haïtiens du Québec.» Oui, un Haïtien faisant la manchette pour tout autre chose que ce à quoi on aime le résoudre. Cette fois-ci, pour la littérature, le succès, la fête. Mais non sans conscience du monde. «J'ai toujours cru que la littérature toute seule, c'est-à-dire le talent d'aligner les mots, de faire des phrases, des paragraphes et des livres, ne suffit pas. Je dirais avec Malraux que c'est dangereux même d'avoir trop de talent si on n'a pas une certaine conscience. Et je suis prêt à donner un peu de talent pour beaucoup plus de conscience. Ça veut dire que pour moi, la vie est au coeur même de la littérature et que la littérature se trouve au centre même de la vie.»

Je ne sais pas s'il pensait aussi à Marie NDiaye, Prix Goncourt 2009 pour Trois femmes puissantes, plongée dans la polémique depuis qu'on a déterré ses critiques assassines envers la présidence de Sarkozy, qui aurait selon elle créé une «France monstrueuse», particulièrement pour ses immigrants. «Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité», a-t-elle dit au magazine Les Inrockuptibles. Un député de droite, Éric Raoult, est monté aux barricades pour exiger un devoir de réserve des lauréats du Goncourt, puisqu'ils seraient la «voix de la France». Zola, avec son J'accuse, n'était-il pas lui aussi la voix d'une certaine France? Pourquoi pas Marie NDiaye?

L'éditeur Pascal Assathiany et Jacques Godbout ont souligné avec humour lors de cette soirée le chauvinisme soudain «des pays» de Dany Laferrière, homme aux multiples identités, depuis qu'il est sous les projecteurs. Même que Godbout a sorti les poupées vaudou de ses concurrents au Médicis pour prouver l'appui indéfectible des Éditions du Boréal à son poulain. Ce prix, c'est un honneur pour la littérature française, puisqu'il est aussi publié chez Grasset? Pour les Haïtiens? Pour les Québécois? Tout cela à la fois, même si on le comprend d'avoir voulu prendre une pause en écrivant Je suis un écrivain japonais...

Devant la petite foule bigarrée et multicolore chez Olivieri, Laferrière a déclaré: «Dans ce paysage mêlé, je vois des Haïtiens québécois, des Québécois haïtiens, c'est le vieux rêve que j'ai toujours eu de ce pays, où le feu rencontre la glace et finit par faire une mer tempérée. C'est cette mer que j'ai devant moi.»

Et un océan sépare le Médicis au Québec et le Goncourt en France....