En 2007, le journal Le Monde publiait des extraits du pamphlet Pour une littérature-monde en français, inspiré par le nombre grandissant d'écrivains pas-nés-en-France dans la course aux prix littéraires. On y sonnait le glas de la francophonie, cet «avatar du colonialisme», puisque personne ne parle le «francophone»...

On se demandait entre autres pourquoi Réjean Ducharme n'avait pas été reconnu comme un des plus grands auteurs contemporains. «Parce qu'on regardait alors de très haut la «Belle Province», qu'on n'attendait d'elle que son accent savoureux, ses mots gardés aux parfums de vieille France».

Cet automne, on assiste à un record de présence des écrivains québécois dans la rentrée littéraire française: Dany Laferrière, Catherine Mavrikakis, Neil Bissoondath et Edem Awumey sont tous des premières sélections des prix Goncourt, Medicis, Femina, etc. Qu'on est donc heureux de les voir s'ouvrir au monde, les Parisiens, et d'enfin les voir reconnaître nos talents littéraires!

Mais cela me rappelle le débat qu'il y avait eu ici, en l'an 2000, autour du pamphlet La répression tranquille de Gabrielle Gourdeau, quand on se questionnait sur la pertinence de voir notre littérature nationale représentée par des écrivains pas-nés-au-Québec. Stanley Péan la citait dans sa chronique: «Allez donc demander aux Chinois s'ils s'intéresseraient à la pauvre enfance d'un petit québécois de Saint-Henri au point de consacrer best-sellers ses romans autobiographiques avant même leur sortie en librairie», lance-t-elle en revendiquant les mots prononcés par Parizeau le soir de la défaite référendaire de 1995, avant d'ajouter, ironique: «Nos écrivains néo-québécois, on a intérêt à les aimer plusse que les écrivains d'ici, et leurs histoires d'enfance chinoise, d'odeur de café et de vaudou, gare à nous si nous les trouvons plates!»

Or, que remarque-t-on en 2009? Les écrivains québécois qui rayonnent présentement à Paris ne répondent pas aux critères «pure laine»: Laferrière est né en Haïti, Mavrikakis à Chicago, Bissoondath à Trinidad-et-Tobago, et Awumay, au Togo. Mais c'est ici que leur carrière d'écrivain a pris son envol. Et qu'elle rayonne outre-mer. Signe des temps, la littérature migrante a plus d'échos dans le monde que la littérature enracinée, peut-être parce que nous sommes tous des apatrides au pays des rêves et que l'écrivain, le vrai, est fondamentalement à contre-courant de toutes les valeurs prônées par le nationalisme: famille, patrie, religion, traditions... Et certaines définitions que nous devrions tous revoir, c'est évident.

En 1947, Gabrielle Roy remportait le prix Femina pour Bonheur d'occasion. Oui, le jury avait été touché par cette histoire d'une pauvre Canadienne française de Saint-Henri. Ils s'en trouvaient pour dire, comme le rappelle Roy elle-même dans son texte: «Comment j'ai remporté le prix Femina», qu'on avait récompensé une Canadienne parce que dans l'après-guerre, on avait besoin des réserves de blé du Canada! Et, malheureusement pour les purs et durs du fleurdelisé, Gabrielle Roy est du Manitoba, comme Nancy Huston est de l'Alberta et Mordecai Richler... du Québec.

Bref, la littérature-monde, ce n'est pas juste pour les Français. Ça se passe aussi chez nous.