Les anniversaires sont des plaies. C'est toujours le 5e, le 15e, le 30e, le 50e, ou le 100e anniversaire de quelqu'un ou de quelque chose, tous les jours. Un argument de promotion de multiples événements ou alors, à une échelle plus intime, le début d'une série de tracas pour l'entourage du célébré - où, quand, comment, qui on invite, qu'est-ce qu'on achète?

Dans le cas du 250e anniversaire de la bataille des plaines d'Abraham, c'est de toute beauté. Un retour de fièvre de la vieille maladie bipolaire de ce pays - l'officiel ou le rêvé? Que doit-on célébrer? La victoire des Anglais ou la survivance, malgré la défaite, des Canadiens français?

Ce n'est pas tant la polémique autour du manifeste du FLQ qui sera lu au Moulin à Paroles ce week-end qui est fascinant, mais le prétexte de cette «célébration». L'événement artistique, où une centaine de personnalités à forte tendance souverainiste liront près de 140 textes, est beau, et louable. Mais faire tourner un moulin à paroles, même pendant 1000 textes et 1000 jours, ne changera en rien la brutale réalité : la bataille de 1759 a été perdue, et le rêve d'un pays du Québec n'est, encore aujourd'hui, qu'un rêve.

Il faut lire et relire L'art de la défaite d'Hubert Aquin pour comprendre pourquoi, au Québec, nous faisons de la défaite un art. Selon son analyse, ce n'est pas tant l'échec des Patriotes qui fut un traumatisme, mais la victoire de Saint-Denis en 1837, à laquelle personne n'osait croire, et qui obligeait les rebelles à devoir vraiment écrire le prochain épisode de l'Histoire.

«Les Patriotes n'ont pas eu un blanc de mémoire à Saint-Denis, mais ils étaient bouleversés par un événement qui n'était pas dans le texte : leur victoire!» Et pensons-y : aucun texte qui sera lu au Moulin à paroles ce week-end ne peut, en 2009, encore contenir ce mot : victoire.

Dans ces circonstances, gagner, qui exige une action ouverte sur l'imprévisible, est plus effrayant que de perdre, souligne Aquin. «Ce qui m'afflige, c'est justement cette passivité du vaincu, écrit-il. Passivité noble et désespérée de l'homme qui ne s'étonnera jamais de perdre, mais sera désemparé de gagner. Ce qui m'afflige encore plus, c'est que leur aventure ratée (NDLR : celle des Patriotes) avec insistance véhicule, de génération en génération, l'image du héros vaincu : certains peuples vénèrent un soldat inconnu, nous, nous n'avons pas le choix : c'est un soldat défait et célèbre que nous vénérons, un combattant dont la tristesse incroyable continue d'opérer en nous, comme une force d'inertie»

J'espère qu'on lira Aquin sur les Plaines en fin de semaine.