«Il est grand temps de rallumer les étoiles», a écrit Apollinaire. C'est la phrase que je me récite à chacun de mes rendez-vous annuels avec les perséides, pendant les vacances d'août à la campagne, en observant la Voie lactée. En un siècle, la pollution lumineuse des villes a fait disparaître ce paysage mille fois millénaire contemplé par l'humanité depuis toujours. Et qui a inspiré autant les poètes que les scientifiques de tous les pays et de toutes les époques.

Je me demande souvent ce que nous devenons comme êtres humains en voyant plus de gratte-ciels que d'étoiles. On regarde plus le sol que le ciel, il me semble, ce qui nous ramène plus proche de notre nombril que de l'infini.

Et tout à coup, perdue dans mes réflexions, un astronaute avec un nez de clown vient se superposer à cette vision de l'immensité. Il veut en plus organiser un gros party rock universel et me lire un poème - euh, non, il a changé d'idée, plutôt un conte.

Il est grand temps de rallumer les étoiles, certes, mais que deviendront-elles à l'ombre des stars qui veulent briller plus qu'elles? Au grand Alexandre qui voulait lui offrir mer et monde, Diogène a répliqué: Ôte-toi de mon soleil. J'ai envie de dire à Guy Laliberté: Ôte-toi de ma Lune. Ce vacarme absurde autour du voyage cosmique du fondateur du Cirque du Soleil est plus désespérant que le silence éternel des espaces infinis qui effrayait Pascal. Si ça se trouve, Guy a peut-être peur du silence lui aussi, d'où tout ce cirque.

Guy Laliberté peut se payer un voyage à 35 millions si ça lui chante. Et tant mieux si ça sert une bonne cause. Mais un touriste dans l'espace n'en demeure pas moins un touriste, et celui-ci n'est pas différent des autres en voulant créer une grosse carte postale pour épater la galerie à son retour. On voyage pour revenir, de toute façon. Tout le contraire de l'exil.

On en resterait là si ce voyage ne se transformait pas en une espèce de trou noir qui veut aspirer la poésie, l'art, la musique, la générosité, l'humanitaire ou l'écologie vers la définition d'un seul homme. Armstrong, le premier homme à marcher sur la Lune, avait plus d'humilité; c'était un envoyé, pas un client qui en veut pour son argent. Le cosmos n'est pas Las Vegas. Elle est où la poésie là-dedans? Ah, j'oubliais: il n'y aura pas de poésie, finalement, le poète «spatial» Claude Péloquin ayant été démis de ses fonctions pour une question de droit d'auteur. Une «crisse de chute», sans parachute, pour l'auteur de Lindberg. Mais on ne s'étonne pas que la poésie retourne dans les limbes; elle n'a jamais été très glamour.

Pour bien moins que 35 millions, on a accès aux mêmes vertiges, rien qu'en levant les yeux au firmament ou en tendant la main vers la bibliothèque. Tenez, au hasard, un poème de Madeleine Gagnon: «Chaotiques, soudains s'ordonnent en stances». Doucement coller l'anse sur la poitrine qui pulse. Le coeur immense des galaxies résonne au fond du labyrinthe, très loin, quand la pensée s'oublie. Il y a des chemins. Des artères, des veines, dans l'infinitésimal grain. Suivre le fil et puis un autre jusqu'à la frange qui se coupe ou demeure flottante. Il est des choix possibles. L'univers n'est pas clos. On y entre sans fin. Avec pour seule clef la phrase entière.»