Ah non. Pas encore. Eh que j'haïs ça! Un autre livre sur le Canadien.

Comprenez-moi, depuis la mort de mon père il y a trois ans, quand je tombe sur un livre concernant de près ou de loin le Canadien de Montréal, cela me rappelle douloureusement que ce sera un autre livre que je ne pourrai pas lui donner en cadeau.

Et il y en aura bien d'autres puisqu'on en a pour des mois encore à célébrer le centenaire du Tricolore. Et Noël qui s'en vient...

  Cette fois, il s'agit d'un livre de mon collègue André Duchesne, Le Canadien, un siècle de hockey à La Presse. Au lancement cette semaine, j'ai feuilleté ce beau livre, un travail colossal d'André, qui s'est tapé un siècle d'archives du journal, l'un des rares médias à avoir couvert le Canadien depuis ses débuts, puisque La Presse fête ses 125 ans. En exergue, André écrit: «À la mémoire de mon père, Hubert Duchesne, et celle de ma mère, Jeannine Rozon. À ma grande soeur, Diane Duchesne. Comme des millions de Québécois, c'est avec eux, en famille, que j'ai découvert le Canadien de Montréal, devant le petit écran.»

Je fais partie de ces millions de Québécois soudés par le hockey, de gré ou de force. Famille nucléaire comme celle d'André; la fille d'un père qui ne ratait aucun match depuis son enfance, d'une mère veuve-du-hockey et la grande soeur d'un petit frère complètement freak de Patrick Roy. J'avais honte certains soirs d'inviter des amis chez moi.

L'année de la Coupe (1993), à chacun des matchs de la série, mon frère s'habillait en gardien de but, installait son filet devant la télé, étalait devant lui toutes les cartes des joueurs et sa coupe Stanley miniature dans l'espoir que cet autel patenté fasse gagner les Glorieux. Il imitait chacun des gestes de Patrick Roy, se figeait intensément dans le style « papillon «, sous les yeux ahuris de mes invités. Dans son enthousiasme, il lui arrivait de briser une lampe ou un bibelot avec son bâton. Et si Roy en laissait passer une, mon père faisait descendre tous les saints du ciel, mon frère défendait son héros (ce n'était jamais la faute de Patrick), ça finissait dans les larmes et les cris, et ma mère disait: « Arrêtez, c'est juste du hockey, franchement! «

Freak, je vous dis. Mes soupirants, pour la plupart des intellos qui n'avaient jamais regardé un match de leur vie, se demandaient dans quelle famille de fous ils allaient devoir passer la soirée. J'ai souvent haï le hockey... Ça m'empêchait de lire en paix.

J'ai compris que c'était vraiment sérieux, voire grave, à la mort de Maurice Richard, en 2000. Papa et frérot, à qui il fallait tordre les deux bras pour les traîner aux funérailles de la parenté, sont allés d'eux-mêmes, sans nous prévenir, se recueillir sur le corps du Rocket à la basilique Notre-Dame. Or, ni l'un ni l'autre ne l'avait jamais vu jouer!

Alors cela ne m'étonne pas que, cet hiver, le professeur Olivier Bauer, de la faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Montréal propose le cours: «Le Canadien est-il une religion?»

J'attends pour ma part que la faculté de psychologie se penche sur l'importance indéniable du hockey dans la relation père-fils. Combien sont-ils de garçons au Québec à avoir le hockey comme liant affectif à ces pères souvent silencieux qui se montrent soudainement volubiles (et mal engueulés) dès que le Canadien saute sur la glace? Plus qu'à l'église, c'est dans la bouche des pères regardant le hockey que se sont transmis au Québec les «saints sacrements»...

Il y a tout cela dans Le Canadien, un siècle de hockey à La Presse, qui fourmille d'anecdotes savoureuses, et ce que nous retrouvons en filigrane, c'est une histoire familiale, au fond. Chaque grand moment du Canadien est associé à un souvenir personnel, on s'en rend compte à la lecture du livre. À Noël, faute de pouvoir donner ce livre à mon père, je vais le donner à mon petit frère, c'est sûr.

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