Intéressant. Pendant que les marchés mondiaux jouent au yo-yo (et avec nos nerfs), il paraît que Karl Marx retrouve son capital... de sympathie? Enfin, ses livres se vendent mieux, a dit cette semaine son éditeur allemand, Karl Dietz Verlag, qui aligne les chiffres comme un vrai capitaliste. «En 2005, j'en ai vendu 500 exemplaires, puis 800 en 2006, et 1300 en 2007. Sur les neuf premiers mois de l'année 2008, j'en suis déjà à 1500. Les chiffres en valeur absolue ne sont pas impressionnants, mais la progression, si.»

Moi qui croyais que les gens se tournaient vers la religion dans les périodes difficiles...

Remarquez, je n'ai rien contre, mais lire Le Capital de Marx et Engels n'est pas précisément mon idée d'une bonne soirée en pantoufles. Probablement trop corrompue par la société de consommation et le rêve d'une société des loisirs, je suis un élément perdu pour une éventuelle révolution...

 

Vous est-il déjà arrivé d'avoir des lectures prémonitoires? De découvrir un auteur oublié, de ne pas trop savoir pourquoi vous le lisez, de ne pouvoir en parler à personne puisque plus personne ne le lit, et qu'il revienne tout à coup dans l'actualité? Dans ces moments-là, on se sent tellement intelligent. «Cet écrivain? Oui, bien sûr, je le connais.»

Allez savoir pourquoi, depuis quelques années, je lis tout ce qui me tombe entre les mains concernant Francis Scott Fitzgerald et son incroyable épouse, Zelda. Peut-être que, fatiguée d'entendre sans cesse 1968 décrit comme le climax du plaisir au XXe siècle, j'ai voulu vérifier. Les années 60 n'arrivent pas à la cheville des années 20, c'est certain. Les années folles portaient très bien leur nom. En Amérique, toute une génération libérée de la Première Guerre mondiale veut oublier les privations et se lance à corps perdu dans la fête, pendant qu'en Russie, un nouveau régime est en train de naître. On se fout de la quête du bonheur et encore plus de la santé - la névrose de notre époque - tout ce qui compte, c'est le plaisir, le luxe, la gloire, la jeunesse, les voitures, l'alcool. Les filles veulent toutes être des «flappers» et ressembler à l'actrice Louise Brooks, les gars veulent tous rouler en décapotable avec des «flappers». On est loin du retour à la terre, des manifs et des cheveux longs des années 60-70.

«S'ils se plient volontiers à la condition d'esclaves, les Américains s'obstinent toujours à refuser celle de paysan», constate Nick Carraway, le narrateur de Gatsby le magnifique, le chef-d'oeuvre de Fitzgerald. L'esprit de l'époque est entièrement contenu dans ce roman éblouissant. Ah! Les somptueuses fêtes de Gatsby, et tout ça pour les beaux yeux de Daisy, qui a marié un riche héritier... Gatsby, lui, est un self-made man (comme Scott), ayant amassé sa fortune de façon mystérieuse. L'esprit tendu vers ce rêve fou de reconquérir son amour perdu, ce qu'il croit réussir avec l'argent, le temps d'une rencontre espérée depuis des années. «Et par moment peut-être au cours de cette après-midi Daisy s'est-elle montrée inférieure à ses rêves - mais elle n'était pas fautive. Cela tenait à la colossale vigueur de son aptitude à rêver. Il l'avait projetée au-delà de Daisy, au-delà de tout. Il s'y était voué lui-même avec une passion d'inventeur, modifiant, amplifiant, décorant ses chimères de la moindre parure scintillante qui passait à sa portée. Ni le feu ni la glace ne sauraient atteindre en intensité ce qu'enferme un homme dans les illusions de son coeur.»

Ce qui fait dire à Scott, qui n'arrivera jamais à oublier ses origines, et qui a dépeint mieux que quiconque les tourments des parvenus: «les riches ne sont pas comme nous». Il parle des «vrais riches»; vous savez, ceux qui s'en tirent présentement avec des millions pendant qu'on demande aux citoyens d'accepter un plan de sauvetage de l'économie...

Gatsby finira de triste façon. Scott et Zelda aussi. Brûlés par les excès. Zelda sombre dans la folie, Scott dans l'alcool, jusqu'à ce texte poignant, La fêlure, qui me tire les larmes à chaque fois, et ce dès les premiers mots, «toute vie est bien entendu un processus de démolition...»

Trop associée à la génération jazz, l'oeuvre de Fitzgerald tombe dans l'oubli quand l'Amérique, elle, tombe dans la Grande dépression.