On n’a jamais autant parlé des aînés que depuis le début de la pandémie. Et si on les écoutait, maintenant ? Dans le cadre de cette série, La Presse prend des nouvelles de personnalités du milieu culturel qui ont 70 ans et plus. Des gens sages et moins sages, qui nous rassurent face à l’avenir. Parce qu’ils ont su vieillir sans devenir vieux.

Louise Latraverse est un esprit libre. Un vrai. Rares sont les gens qui, peu importe leur âge ou leur milieu, sont capables de penser aussi librement que cette femme belle et sage. Au fil des années, Louise Latraverse a su guider sa vie selon ses idées, son instinct, sa sensibilité, en évitant de suivre bêtement le courant.

Il n’est donc pas étonnant d’apprendre qu’en ces temps dramatiques et incertains, elle penche du côté de la sérénité. Pleine d’amour, la comédienne profite du confinement pour s’émerveiller de la beauté du monde. Encore et toujours. Elle trouve du réconfort dans l’amitié (virtuelle), la lecture de poésie, la contemplation de la nature qui fleurit, même au cœur du Vieux-Rosemont. Car la dame se porte très bien : « Je suis d’agréable compagnie avec moi-même, dit-elle en entrevue téléphonique. Je suis dans l’équilibre du monde. »

Selon elle, ce monde vivait en pleine folie avant la pandémie. « On prenait l’avion comme on prend l’autobus. On dépensait sans compter et on courait partout. Or, depuis, il n’y a plus d’avions dans le ciel. J’entends les oiseaux chanter dans ma cour, l’air est pur. Tout à coup, la nature reprend sa place ; celle qu’on lui avait enlevée. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Lors du tapis rouge du film Hochelaga, terre des âmes. À près de 80 ans, Louise Latraverse est devenue l’une des muses du designer Denis Gagnon.

La solitude de semaines passées à rester dans sa maison lui fait « un grand bien intérieur ». « Au début, comme bien des gens, j’étais assommée par ce terrible virus, ce monstre qui est partout. Petit à petit, j’ai décidé qu’il resterait dehors, que je ne l’attraperais pas en restant chez moi et en faisant tout ce qu’il faut pour l’éviter. »

Le circuit de l’amitié

Pour garder son équilibre, sa paix, le « circuit de l’amitié est très, très important, dit-elle. J’ai une amie, Julie Paquette, qui travaille comme bénévole au CHSLD et qui fait mes courses. Ines Talbi et sa sœur sont venues me porter des romans et des recueils de poésie. Je lis du Virginie Beauregard, Claude Beausoleil, Fernand Durepos, Gatien Lapointe… Et la “fée du Mile End”, la merveilleuse artiste Patsy Van Roost, a aussi installé une banderole au-dessus de mon balcon. »

Il y est inscrit, en lettres découpées, « Le courage n’a pas d’âge », car Louise Latraverse aura 80 ans, le 24 juin prochain. « Je pensais organiser une belle fête pour célébrer cet anniversaire spécial. Si je suis encore confinée, j’aimerais que mes amis viennent chanter dans la rue devant chez moi, même masqués… On sortira des sandwichs et on fera la fête autrement. »

Contrairement à beaucoup de monde, Louise Latraverse ne craint pas de devenir octogénaire. « J’aime ça, vieillir. Il y a aussi de belles choses dans cet avant-dernier passage de la vie. J’aime sentir que les choses ralentissent avec la vieillesse. J’aime ce détachement qui arrive avec l’âge. »

PHOTO ANDRE PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

En répétition du spectacle La Renarde, sur les traces de Pauline Julien, avec de gauche à droite ses amies Elkahna Talbi, Sophie Cadieux et Émilie Bibeau.

De plus, Mme Latraverse se fait une fierté d’avoir gardé son visage sans chirurgie, avec ses rides et ses cheveux au naturel. « Depuis mon enfance, j’ai toujours aimé voir ces dames aux cheveux blancs. Petite, je les regardais avec tendresse, je les trouvais belles. Et j’avais hâte d’avoir des cheveux blancs. »

La guérison par l’art

En discutant en entrevue, on réalise que cette artiste a fait beaucoup d’introspection dans sa vie. Pour devenir une meilleure femme, moins agitée, moins affolée, car plus consciente des choses qui ne dépendent pas de sa volonté. « Je suis toujours la même personne, dit-elle, mais j’ai évolué, c’est tout. Ce qu’on est profondément, on le demeure. Mais avec le temps, on peut améliorer le gabarit, chasser les comportements nocifs qui nous rendent malheureux. »

Vieillir sagement, c’est aussi se prévenir contre le bruit ambiant. Active sur les réseaux sociaux « avec des gens qu’elle aime seulement », Louise Latraverse regarde peu les informations à la télévision depuis deux mois. Elle se branche sur son ordinateur pour avoir un résumé quotidien de l’information concernant la COVID-19. « Par contre, j’ai regardé avec un immense bonheur En direct de l’univers, le spécial de la fête des Mères. J’estime que cette émission a fait plus de bien aux gens que tous les produits pharmaceutiques au monde ! L’art, la musique, la culture nous aident aussi à guérir. Selon moi, c’est un service essentiel dans la société. »

La comédienne proche du milieu théâtral (elle a été directrice du Quat’Sous au milieu des années 80) s’inquiète de la condition misérable des artistes durant la crise ; de l’incertitude dans laquelle le milieu culturel est plongé. « À tous ces dirigeants qui disent aux artistes de se réinventer, je réponds plutôt que c’est au gouvernement de se réinventer. »

Le gouvernement a donné des milliards à Bombardier, et ça n’a pas rapporté grand-chose, je pense… Il devrait donner ces milliards à la culture, qui, elle, rapporte énormément.

Louise Latraverse

Le beau départ

Pour s’aider à penser librement, Louise Latraverse a beaucoup fréquenté les écrivains et les philosophes. « “Connais-toi toi-même”, disait Socrate il y a 2500 ans. Je n’invente rien. Reste que c’est plus facile à dire qu’à réaliser, car on est complexes, nous, les êtres humains. »

En général, les philosophes estiment qu’on arrive au monde dans le seul but de s’améliorer, d’essayer d’être heureux et de le rester… jusqu’à la mort. « Je pense également que c’est le but et le travail de toute une vie, acquiesce Mme Latraverse. Or, pour cela, il faut d’abord entrer en contact avec soi-même, plonger dans son intériorité. »

Sur sa table de chevet, il y a un livre d’entretiens avec Marguerite Yourcenar, Les yeux ouverts. Le titre se réfère à la dernière phrase de Mémoires d’Hadrien, célèbre roman de la regrettée femme de lettres : « Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts. » 

Est-elle bouleversée par le départ de ses camarades interprètes décédées récemment ? « Oui, bien sûr. Et je suis d’accord avec Yourcenar, il faut se préparer pour ce grand départ, ce passage de la vie à l’au-delà, à cet endroit, peu importe le nom, car je ne sais comment l’appeler. Mais il faut voir la mort comme un beau moment. Moi, je veux mourir heureuse. De tout mon cœur, j’espère partir en beauté, l’âme sereine. »

En remerciant aussi la vie, les yeux ouverts.

Qui est Louise Latraverse ?

Comédienne, auteure, metteuse en scène, animatrice et chroniqueuse, Louise Latraverse est omniprésente dans le paysage culturel au Québec depuis plus de 50 ans. Elle a dirigé le Théâtre de Quat’Sous à Montréal ; une compagnie avec laquelle elle est associée depuis 1965, avec ses fondateurs : Claude Léveillée, Paul Buissonneau, Yvon Deschamps et Jean-Louis Millette. Sur les planches, Mme Latraverse a défendu une multitude de rôles, tant comiques que dramatiques, dont celui, inoubliable, de Martha dans Qui a peur de Virginia Woolf ? L’actrice a été de la création des Girls, première revue musicale féministe au Québec, signée Clémence DesRochers. À la télévision, elle a animé Jeunesse oblige et fait partie des premiers Bye bye à Radio-Canada, sans oublier Moi et l’autre, Symphorien, Grand-papa, Les héritiers Duval, 30 vies, Le retour... La comédienne a remporté deux prix Gémeaux, en 2007 et en 2012, dans la catégorie meilleure interprétation féminine dans un rôle de soutien pour La promesse et Mauvais karma.