Lors d’une mêlée de presse, mercredi à Ottawa, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a annoncé avoir écrit à la présidente du conseil d’administration du Musée des beaux-arts du Canada, Françoise Lyon, afin d’obtenir des éclaircissements sur la crise en cours au sein de l’institution muséale. Le ministre a, lui-même, été critiqué dans ce dossier, lors de la période des questions à la Chambre des communes.

Après avoir affirmé, mercredi matin, que le Musée des beaux-arts du Canada est une institution indépendante, Pablo Rodriguez a dit avoir fait part à Mme Lyon de sa « profonde inquiétude » par rapport aux évènements en cours dans ce musée qui vient d’entamer une procédure de décolonisation de sa gestion et de sa programmation et a procédé à des congédiements de cadres importants.

« Je lui ai demandé une réponse rapide sur les solutions que le conseil d’administration compte mettre de l’avant », a dit le ministre, qui a ajouté être inquiet du climat en vigueur au MBAC et veut que le CA « explique ce qui se passe ».

Ces derniers jours, des acteurs du monde de l’art canadien, tel que l’ancien directeur du MBAC, Marc Mayer, le collectionneur Pierre Lassonde ou des conservateurs et historiens de l’art telle que Diana Nemiroff, ont exprimé leur stupéfaction quant à la façon dont le MBAC est géré actuellement, réclamant des éclaircissements.

PHOTO TOURISME OTTAWA

Le Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, avec la sculpture Maman, de Louise Bourgeois.

Malgré plusieurs demandes des médias, la présidente du conseil d’administration, Françoise Lyon, une femme d’affaires montréalaise qui est présidente et associée principale de la firme de placements privés DGC Capital, a refusé toute entrevue afin d’expliquer pourquoi, le 17 novembre, le musée a congédié la sous-directrice et conservatrice en chef, Kitty Scott, le conservateur de l’art autochtone, Greg Hill, le directeur de la conservation et de la recherche technique, Stephen Gritt, et la gestionnaire principale des communications, Denise Siele.

Le musée refuse de fournir des explications quant à ces congédiements, avançant une politique de confidentialité et mettant de l’avant l’application d’un plan stratégique qui vise à « décoloniser » l’institution muséale. La situation au MBAC a fait l’objet de débats animés à la Chambre des communes, mercredi. Le député bloquiste de Drummond, Martin Champoux, a notamment critiqué le fait que le MBAC ait été réticent, à un moment donné, d’organiser une exposition consacrée à Riopelle, à l’occasion du centenaire de sa naissance, exposition qui aura bel et bien lieu en octobre prochain.

« Riopelle était’un vieil artiste homme blanc’selon le Musée des beaux-arts du Canada et, selon La Presse, sa directrice générale a tout fait, Monsieur le président, pour empêcher qu’il y ait une exposition en son honneur, a lancé le député Champoux. Le ministre peut-il nous dire à quel moment son gouvernement a décidé d’exclure les beaux-arts de la vocation du Musée des beaux-arts ? »

Le ministre Rodriguez a répondu que son collègue était « dans le champ ». « C’est évident que l’on va célébrer Riopelle, Monsieur le président, Riopelle c’est un géant parmi les géants, un des plus grands artistes qui existent parmi nous. Le gouvernement a été là et sera là pour célébrer ce grand artiste qu’était Riopelle. »

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Jean Paul Riopelle en 1985.

Le député Champoux a poursuivi avec une deuxième intervention : « Un petit coup de fil du ministre du Patrimoine au Musée [des beaux-arts du Canada] pourrait faire cesser cette dérive, car il ne fait rien dans le dossier du Musée des beaux-arts du Canada, a-t-il dit. C’est soit il approuve, soit la direction du Musée des beaux-arts obéit à une commande du ministre. Parce que ce qui se passe avec le Musée, Monsieur le président, c’est qu’ils sont en train d’en faire littéralement un outil de propagande idéologique plutôt qu’un lieu de préservation et de valorisation des beaux-arts […] Quand le ministre va-t-il cesser d’agir en ministre de la Propagande et agir en ministre du Patrimoine. »

Pablo Rodriguez a répondu en disant être blessé par ce commentaire et a assuré le député bloquiste que l’exposition Riopelle aura bien lieu. Joint par La Presse, le collectionneur, mécène et homme d’affaires Pierre Lassonde a d’ailleurs raconté combien l’ex-directrice générale du MBAC, Sasha Susa, qui a quitté l’institution en juin dernier, avait tout fait pour s’opposer à un hommage rendu à Riopelle à Ottawa.

« Elle a essayé de tuer l’exposition à plusieurs reprises, dit M. Lassonde. C’est seulement grâce à l’intervention et l’insistance de la Fondation Riopelle qu’elle a finalement consenti à l’organiser, mais c’était à reculons. C’était impensable de ne pas avoir une exposition du plus important peintre canadien sur la scène internationale ! Mais elle a voulu couper les budgets, organiser l’exposition dans une petite salle, couper le nombre d’œuvres à exposer. C’était incroyable. Ça lui a pris un an et demi pour nommer la commissaire… » C’est l’historienne de l’art Sylvie Lacerte qui signera l’exposition Riopelle à Ottawa.

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