L’art visuel des Inuit est inspiré depuis des lunes par leur tradition musicale. C’est le thème de l’exposition Tusarnitut présentée, jusqu’au 12 mars, au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Un déploiement axé sur les chants de gorge et la danse du tambour des Inuit du Canada et de toute la région circumpolaire.

C’est à une belle histoire culturelle que nous convie le MBAM cet hiver. Une histoire de résilience et de perpétuation des savoirs, des traditions et des talents, sous l’angle de la musique et de sa célébration par les Inuit sous la forme de dessins, lithographies, gravures, masques et sculptures. Un hommage à une tradition ancestrale, comme l’indique le commissaire invité Jean-Jacques Nattiez, ethnomusicologue et professeur émérite de l’Université de Montréal.

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L’exposition est bien scénarisée. À gauche, quand on entre, tout ce qui concerne les danses au tambour et, à droite, les chants de gorge. À l’entrée, deux cartes géographiques situent les communautés inuit dont on parle, des Tchouktches de Sibérie jusqu’aux Labradormiut (les Inuit du Labrador), en passant par les Inuit du Québec (Nunavik) qu’on appelle les Nunavimmiut.

Tambours, masques et chamanisme

Première œuvre intéressante, l’estampe Deux joueuses de katajjaniq, de l’artiste originaire d’Inukjuak Lucassie Echalook. Le katajjaniq, c’est la pratique du chant de gorge. Cette gravure est célèbre car elle a figuré sur la couverture des deux tout premiers albums de musique de chant de gorge, Jeux et chants des Inuit, un disque de Jean-Jacques Nattiez produit par l’UNESCO en 1978, et un autre réalisé à Toronto en 1980.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Deux joueuses de katajjaniq, 1974, Lucassie Echalook, gravure sur pierre

On explore ensuite le chamanisme chez les Inuit, à l’origine de la danse au tambour et du chant de gorge. Avec des amulettes de chaman, une sculpture en os de baleine et ivoire d’un joueur de tambour – par l’artiste Karoo Ashevak (1940-1974) –, et une autre sculpture, de Sedna, déesse inuit de la mer. « Elle a eu ses moignons coupés au bord d’un bateau et a donné naissance aux animaux », dit Jean-Jacques Nattiez, qui explique que le chamanisme inuit a commencé à disparaître au Canada quand l’évangélisation des missionnaires chrétiens a débuté. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres communautés chamaniques dans le monde, notamment les Tsaatan, en Mongolie sibérienne.

PHOTO CHRISTINE GUEST, FOURNIE PAR LE MBAM

Sans titre (Joueur de tambour), vers 1973, Karoo Ashevak (1940-1974). Collection MBAM. © Public Trustee of Nunavut, Estate of Karoo Ashevak.

On peut admirer deux masques d’Igloolik qui illustrent le tivajuut, un rituel de fertilité tenu dans un igloo au cours duquel deux hommes enfilent un masque, l’un représentant un homme, l’autre une femme. Le rituel est accompagné d’un chant et d’une musique qu’on peut apprécier sur place. La musique a été enregistrée dans ce village du Nunavut par Jean-Jacques Nattiez, qui raconte son épopée autour des arts, des chants et des danses des Inuit dans un ouvrage d’art splendide, de 500 pages, intitulé La musique qui vient du froid.

Deux photographies présentent un grand intérêt dans l’exposition. Elles représentent un cercle de tambour et un masque trouvés en 1970 par l’anthropologue et père missionnaire Guy Mary-Rousselière (1913-1994), un oblat qui a traduit les chants de chamans inuit en français.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le cercle de tambour et le masque trouvés en 1970 par le missionnaire Guy Mary-Rousselière

Jean-Jacques Nattiez explique l’importance de cette découverte faite dans l’île de Baffin, près de Mittimatalik (Pond Inlet) :

Le cercle étant majeur dans l’art inuit et dans leur vie sociale (igloo), la scénographe du musée, Laurence Boutin Laperrière, a réalisé judicieusement un espace circulaire central qui contient une maquette d’igloo expliquant le rituel de la danse au tambour ainsi qu’une série de tambours de la région circumpolaire.

Les chants de gorge à l’honneur

La deuxième partie est consacrée aux chants de gorge avec des vidéos et des dessins, avec des représentations d’animaux. Les femmes faisaient des chants de gorge quand leurs conjoints étaient à la chasse, dit Jean-Jacques Nattiez. D’ailleurs, il est intéressant de découvrir des femmes tchouktches faire des chants de gorge à 8000 km du Nunavut. « On regarde ça et c’est fascinant de constater que c’est exactement la même chorégraphie », dit M. Nattiez.

L’expo s’achève avec la musique inuit contemporaine. Une guitare électrique décorée, la sculpture d’un « violonneux » inuit et même d’un Inuit jouant de l’accordéon ! Ainsi qu’une installation de Nancy Saunders (Niap) où des sculptures en stéatite figurent les cordes vocales sources des chants de gorge qu’on peut entendre grâce à des casques d’écoute. Ingénieux.

  • ᑲᑕᔾᔭᐅᓯᕙᓪᓛᑦ Katajjausivallaat, le rythme bercé, 2018, Nancy Saunders (Niap) (1986-—). Collection MBAM.

    PHOTO ROMAIN GUILBAULT, FOURNIE PAR LE MBAM

    ᑲᑕᔾᔭᐅᓯᕙᓪᓛᑦ Katajjausivallaat, le rythme bercé, 2018, Nancy Saunders (Niap) (1986-—). Collection MBAM.

  • Pouvoir des mots, 2005, Mattiusi Iyaituk (1950-—). Collection MBAM.

    PHOTO CHRISTINE GUEST, FOURNIE PAR LE MBAM

    Pouvoir des mots, 2005, Mattiusi Iyaituk (1950-—). Collection MBAM.

  • Gardiennes du Katajjaniq, 1992, Kenojuak Ashevak (1927-2013). Collection Jean-Jacques Nattiez. Reproduction avec la permission du Dorset Fine Arts.

    PHOTO CHRISTINE GUEST, FOURNIE PAR LE MBAM

    Gardiennes du Katajjaniq, 1992, Kenojuak Ashevak (1927-2013). Collection Jean-Jacques Nattiez. Reproduction avec la permission du Dorset Fine Arts.

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À noter qu’en plus de Jean-Jacques Nattiez, l’exposition a été créée par Lisa Qiluqqi Koperqualuk, conservatrice-médiatrice de l’art inuit au musée, en collaboration avec Charissa von Harringa, commissaire associée, également au MBAM. Bonne visite !

Consultez la page du Musée des beaux-arts de Montréal dédiée à l’exposition