Sommité de l’art urbain, Shepard Fairey est, à 52 ans, un membre marquant de la fraternité mondiale des muralistes, tout en menant en parallèle une solide carrière sur le marché de l’art. Il n’a rien perdu de son talent, si l’on en juge par l’œuvre réalisée récemment au sud de la rue Prince-Arthur, qui parle de justice, de guerre et de violence, avec des armes à feu. Des thèmes actuels.
C’est la deuxième fois que l’artiste met les pieds à Montréal. Il était venu à l’âge de 26 ans avec ses parents. Vous visitez Montréal tous les 26 ans ? lui a-t-on demandé. « J’espère revenir avant d’avoir 80 ans ! répond-il en riant. En 1996, on s’était surtout promenés dans le Vieux-Montréal. J’avais placé quelques stickers dans les rues ! Mes parents trouvaient que c’était immature et du vandalisme. Maintenant, ils disent avoir changé d’avis, mais je ne pense pas que ce soit vrai ! »
Shepard Fairey a déjà réalisé des murales à Toronto et à Vancouver. Il voulait revenir à Montréal et cela faisait neuf ans qu’Adam Vieira, artiste et copropriétaire de la galerie S16, essayait de faire venir l’artiste – très occupé –, qui a quand même profité de son passage à S16 pour y peindre une œuvre dans l’entrée.
Ses œuvres sont de petits bijoux graphiques dans des tons surannés qui sont sa signature. Adepte d’Andy Warhol, de Barbara Kruger et de Keith Haring, mais aussi héritier du dadaïsme et de Marcel Duchamp – par son anticonformisme –, il crée des impressions soignées et des techniques mixtes, mélanges de travail au pochoir, sérigraphie et collages, notamment de bouts d’articles.
Obey, comme on le surnomme, est un phénomène. Issu du monde de la planche à roulettes, il a ancré sa renommée quand son dessin Hope, consacré à Barack Obama, est devenu une affiche officieuse de sa campagne présidentielle de 2008. Depuis, Shepard Fairey n’a cessé de créer des œuvres empreintes de son âme de pacifiste et de militant des causes justes.
Malgré sa brillante carrière internationale, il n’a jamais tourné le dos à ses principes de jeunesse. Ses œuvres critiquent les errements de notre époque. La guerre, la démocratie américaine en danger, les dégâts des armes à feu, des industries pétrolière, gazière et minière, les affres du capitalisme, notre inconscience vis-à-vis de l’environnement, le sexisme, le racisme, l’homophobie. Ça fait beaucoup, dit-il.
« C’est comme si je traitais encore et toujours les mêmes problèmes de l’humanité avec une légère mutation dans la manière d’en parler », observe Shepard Fairey, qui se dit déprimé par la situation. « Mais l’art est une bonne thérapie. » Afin de laisser un peu de place à l’espoir, il use de slogans tels que « Rise Above » ou d’associations comme une fleur et un fusil. Il dessine des lotus, « ces fleurs qui poussent dans la boue », des colombes, des signes de justice et de paix, d’où le titre de l’exposition.
Aujourd’hui, il est collectionné par les plus grandes institutions muséales de la planète, du Victoria and Albert Museum de Londres à la Smithsonian’s National Portrait Gallery de Washington, en passant par le Museum of Modern Art (MoMA) de New York.
Malgré le succès, l’artiste ne cède ni à la facilité ni au cynisme. « Il ne faut jamais devenir cynique. Les temps sont cycliques. Le meilleur de l’homme finit toujours par prendre le dessus. J’essaie de communiquer aux gens le goût de… communiquer plutôt que d’être spectateurs. Avec l’art de rue, les impressions, les pochoirs, on peut s’exprimer. Les gens ont plus de pouvoir qu’ils ne le pensent. Je veux démocratiser l’art, mais aussi la communication. »
L’exposition Paix Et Justice est présentée à la galerie S16, à Westmount, jusqu’au 3 juillet.