Sculpteur céramiste de renom, Laurent Craste connaît un début d’année plutôt faste avec trois expos au Canada et une en France. L’ancien potier devenu artiste contemporain a gravi les échelons grâce à une signature unique et à une technique impeccable. Nous l’avons retrouvé au cœur de son atelier de Saint-Damien, dans Lanaudière.
Parcours
Laurent Craste a eu un cheminement singulier. Né en France, il est devenu vétérinaire en 1987. Mais ça ne lui plaisait plus, il voulait devenir artiste. La vie l’a conduit au Québec, où il a étudié la sculpture de l’argile. Pendant des années, le potier a créé des objets utilitaires qu’il présentait dans les expos de métiers d’art. « Mon travail a évolué ensuite vers l’objet décoratif devenu de plus en plus symbolique et étrange », dit-il.
Les deux années de maîtrise en arts visuels à l’UQAM lui ont donné une nouvelle impulsion. Il a choisi une approche qui consiste à exécuter, seul, toutes les étapes de création, depuis le pétrissage jusqu’à l’émaillage. Il est connu pour ses céramiques « vandalisées » ou qui semblent mimer des actions humaines. Des œuvres qui évoquent parfois des destructions, comme sa série Détournement – qui associe des images funestes à une céramique stylée – ou son populaire corpus Sévices.
Ses porcelaines font partie de grandes collections : Musée des beaux-arts de Montréal, Loto-Québec, Ville de Montréal, Art Gallery of Burlington, Majudia, Claridge, Cirque du Soleil, etc. Âgé de 53 ans, Laurent Craste dit être « royalement » représenté par la Galerie 3, à Québec. Il travaille aussi avec La Guilde, à Montréal, et avec la galerie Hohmann Fine Art, en Californie. Après avoir longtemps enseigné la céramique au collège, il se consacre pleinement à l’art depuis janvier. « Je travaille 7 jours sur 7, 12 heures par jour, alors à un moment donné, la fatigue pèse avec l’âge ! Juste créer est une joie inégalée. »
L’Atelier
Pendant la pandémie, Laurent Craste a transféré son atelier de l’édifice Grover, à Montréal, où il est resté 20 ans, à Saint-Damien. Son nouveau local est plus vaste. Près de son tour de potier, on trouve ses outils aux noms poétiques : mirettes, tournassins, estèques, ébauchoirs, etc.
Sur une table, l’artiste fait ses assemblages, car ses œuvres sont composées de plusieurs morceaux. L’assemblage réalisé, il fait sécher l’œuvre avant une première cuisson, puis procède à la finition par ponçage, une étape épuisante et bruyante, qui se fait avec un masque. Une fois l’œuvre parfaitement lisse, vient l’étape de l’émaillage par vaporisation, puis une autre cuisson à haute température (1200 °C). Pour certaines œuvres, Laurent Craste fait du transfert sérigraphique pour appliquer une image sur la porcelaine, ce qui requiert une troisième cuisson. Une quatrième est même nécessaire quand il ajoute une décoration à l’or fin.
Chaque œuvre prend des mois de travail. Laurent Craste détruit l’objet s’il a le moindre défaut. Souvent, après la cuisson. « Il y a beaucoup de tensions physiques dans la porcelaine, dit-il. Tu ne peux pas tout contrôler. Souvent, des pièces se fendent. Tu as travaillé deux mois sur une pièce et tu dois la détruire. Il y a donc des sorties de four parfois tragiques. C’est pourquoi peu de pièces sortent de l’atelier. Mais quand elles sortent, elles sont parfaites ! »
Une œuvre comme son emblématique Iconocraste au bat, avec une batte de baseball « détruisant » une céramique (dont un exemplaire appartient à la collection Claridge de Stephen Bronfman), se vend dans les cinq chiffres aujourd’hui. Il en existe cinq exemplaires. Nous en avons vu un sixième en production.
Ses expositions
Pour cette première moitié de 2022, Laurent Craste aura participé à quatre expos collectives. La première, Confined, est en cours à la Canadian Clay and Glass Gallery de Waterloo, en Ontario, jusqu’au 8 mai. Earth Oracles, commissariée par la céramiste Lindsay Montgomery, a lieu à la galerie Maytens de Toronto, jusqu’au 7 mai. Il fera partie, du 14 mai au 4 juin, de l’expo Infiniment noir, présentée dans la galerie d’Yves Louis-Seize, son voisin et ancien prof, à Saint-Gabriel.
Il participe, depuis le 19 mars et jusqu’au 29 mai, à l’expo Novalis Terra, à La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent, à Roubaix, en France, une présentation du travail de trois céramistes québécois, Pascale Girardin, Amélie Proulx et lui-même. « J’en suis ravi, c’est prestigieux, dit-il. J’expose six œuvres et ils ont même choisi une de mes pièces, Art décoratif, faite à partir du moule d’un buste qui est au Louvre, pour toutes leurs publications. Ça m’ennuie pour mes deux autres collègues, mais bon, je suis flabbergasté ! »
Projets
Nous avons pu découvrir une œuvre encore inachevée. Une sorte de vase bientôt transpercé de pics d’acier, inspiré du saint martyr romain Sébastien. Laurent Craste veut aussi sortir un peu du tridimensionnel et travaille actuellement à la représentation d’objets dessinés à la craie (poudre d’engobe compactée) sur un carreau de céramique fait main, ce qui donne une sorte de trompe-l’œil à la fois vivant et fantomatique.
En 2023, il exposera de nouveau en France et fera un solo à la Galerie 3. Il est très heureux de constater combien la céramique contemporaine connaît un énorme engouement sur la scène internationale. Avec des artistes réputés tels que Shio Kusaka, Grayson Perry ou Roberto Lugo, et, au Canada, les Shary Boyle, Marie-Andrée Côté, Clint Neufeld ou Trevor Baird. « Un marché s’est développé, ouvert à toutes sortes de pratiques, avec des ventes désormais à des collectionneurs québécois, alors c’est extraordinaire », dit-il.