C’est à titre de cobaye que nous avons exploré le parcours immersif L’infini l’automne dernier, dans la grande salle d’Arsenal, à Montréal. L’équipe de Tech3Lab, laboratoire associé à HEC, a décortiqué nos réactions pendant notre visite virtuelle de la Station spatiale internationale en plongeant au cœur de la plus ambitieuse création à ce jour pour les Studios Felix & Paul et le Studio Phi.

Nous avons obtenu les résultats préliminaires de l’étude quelques jours seulement avant le départ des créateurs de L’infini pour le Texas. L’équipe montréalaise est en lice pour le prix de la meilleure expérience de réalité virtuelle aux Innovation Awards de South by Southwest (SXSW), qui sera remis lundi. Les Oscars de la technologie, en quelque sorte.

Connaître les réactions des utilisateurs est donc un outil de plus pour les génies derrière Expériences Infinity, entité commune créée par le Studio Phi et les Studios Felix & Paul dans la foulée du lancement de l’exposition L’infini. Grâce à un électrocardiogramme intégré dans une veste Hexoskin, des capteurs électrodermaux collés aux mains et une caméra fixée à la poitrine de 30 volontaires, dont l’auteur de ces lignes, les chercheurs de Tech3Lab ont pu analyser leur comportement.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

L’équipe de Tech3Lab a récolté ses données auprès des volontaires grâce à un électrocardiogramme intégré dans une veste Hexoskin, des capteurs électrodermaux collés aux mains et une caméra fixée à la poitrine.

« J’ai toujours voulu créer un pont entre la science et le concret, donc de combiner science, innovation et art, c’est vraiment exceptionnel pour moi, explique l’étudiante à la maîtrise Shady Guertin-Lahoud, à l’origine de ce projet de recherche chez Tech3Lab. On voit à quel point la science peut guider l’art, c’est vraiment beau. »

IMAGE FOURNIE PAR TECH3LAB

La carte du parcours émotionnel et exploratoire de notre journaliste dans l’univers virtuel de l’exposition interactive L’infini. Les pastilles représentent les capsules vidéo regardées : plus elles sont grandes, plus on a observé de mouvement ; plus elles tendent vers le rouge, plus l’investissement émotif était important.

Shady et l’équipe de Tech3Lab – le plus important laboratoire de recherche en expérience utilisateur en Amérique du Nord – ont ainsi créé une carte de la station spatiale où chaque vidéo projetée dans les casques des utilisateurs est représentée par une pastille – plus grande quand il y a davantage de mouvement et d’interaction, et de plus en plus rouge selon l’importance de l’investissement émotif du visiteur.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Pierre-Majorique Léger, codirecteur de Tech3Lab

« Pour les concepteurs, ces données sont la clé de voûte pour comprendre le comportement des gens, soutient Pierre-Majorique Léger, titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG-Prompt en expérience utilisateur et codirecteur de Tech3Lab. Si tu restes droit devant une vidéo, ça ne sert à rien de dépenser autant dans le développement d’un environnement en trois dimensions. Savoir comment la personne va s’investir permet de guider les concepteurs pour qu’ils puissent prendre des décisions plus avisées. »

La création d’environnements de réalité virtuelle est un nouveau métier, il faut le comprendre et le découvrir. On veut être capables de nourrir cette nouvelle discipline professionnelle.

Pierre-Majorique Léger, codirecteur de Tech3Lab

Découvertes étonnantes

Des 45 vidéos immersives vues par les spectateurs, celle qui a suscité la plus grande activité émotionnelle chez les visiteurs a étonné les concepteurs. « C’est une vidéo dans laquelle on voit deux astronautes qui font une expérience scientifique en discutant entre eux de façon très normale. Il n’y a pas de contenu émotionnel dans ce qu’ils racontent, mais c’est pourtant la scène qui a obtenu le plus grand score, ça m’a surpris », reconnaît Félix Lajeunesse, cofondateur et directeur de création des Studios Felix & Paul.

« On s’aperçoit toutefois que l’une des astronautes vient très proche de la caméra, cette simple progression vers la lentille confère un caractère physique à la scène. Dans ma classification, j’avais placé cette scène dans la catégorie science, je ne croyais pas que ça aurait une charge émotionnelle aussi forte. Ça change ma lecture du spectacle. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Stéphane Rituit, PDG et cofondateur des Studios Felix & Paul, Félix Lajeunesse, cofondateur des Studios Felix & Paul et créateur de l’expérience L’infini, et Éric Albert, PDG des Studios Phi

Globalement, l’équipe de création avait toutefois visé juste à plusieurs endroits, notamment dans le dernier segment où le visiteur se retrouve seul, assis, à contempler la Terre à travers un hublot de la Station spatiale internationale. Ici, notre propre rythme cardiaque a considérablement ralenti, témoin de notre état de relaxation extrême.

« Ce film de huit minutes, sans aucune narration, visait à créer un espace pour que le spectateur puisse vivre quelque chose sans être guidé, sans communication de données, explique Félix Lajeunesse. Ce moment qui appartient au spectateur, il est conçu comme ça. Ta réaction méditative vient de ça, d’autant plus que le fait d’être incliné, presque couché, appelle à un abandon physique. »

« Mais au final, ces données nous permettent de mettre du concret sur des choses qui sont très intuitives, ça nous donne un langage pour mieux nommer ce que l’on fait, ce sont des points de référence pour la suite », conclut le jeune créateur.

L’infini reviendra à Montréal

Après son départ de Montréal le 7 novembre dernier, l’expérience L’infini s’est déplacée à Houston, après quoi elle mettra le cap sur Seattle. Mais comme la nouvelle mouture de l’exposition interactive comprend des séquences inédites d’une sortie dans l’espace des astronautes, L’infini repassera aussi au Québec, nous confirme Éric Albert, PDG des Studios Phi. On songe par ailleurs à bonifier l’expérience des gens qui ont déjà arpenté les couloirs virtuels de la Station spatiale internationale (SSI) : « Comme on a beaucoup de gens qui reviennent deux ou trois fois, on a envisagé d’offrir des billets de saison, nous confie Stéphane Rituit, PDG et cofondateur des Studios Felix & Paul. Mais on pourrait aussi tenir compte de l’expérience déjà vécue pour enrichir leur deuxième visite, notamment en leur suggérant des choix de vidéos qu’ils n’ont pas visionnées. »

C’est sans compter que les gens pourraient bientôt visiter L’infini dans le confort de leur foyer. « Avec le temps alloué pour explorer, les clients ne peuvent pas voir tout le contenu, reconnaît pour sa part Félix Lajeunesse. On trouve donc intéressante l’idée d’avoir éventuellement de nouveaux points d’accès à domicile pour pouvoir revenir dans cet univers. » Et si ce n’est pas dans la SSI, ce pourrait être ailleurs, car Expériences Infinity se s’arrêtera pas en si bon chemin : « Ça fait depuis 2016 que l’on raconte les avancées de l’exploration humaine dans l’espace, on va continuer de faire ça, nous confirme Félix Lajeunesse. Qu’il s’agisse de l’exploration de l’espace lointain, de la Lune ou de Mars, c’est une continuité naturelle pour nous. »

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  • 70 %
    Proportion des visiteurs, à Houston, dont L’infini était la première expérience de réalité virtuelle
    SOURCE : Studios PHI
  • 85 %
    Proportion des visiteurs qui n’hésiteraient pas à recommander à leurs proches de participer à l’expérience L’infini. « Dans le jargon, on parle du net promoter score, et un score qui dépasse les 80 % est extrêmement rare. »
    SOURCE : Éric Albert, PDG des studios phi