Alors que le pays est à feu et à sang que les habitants tentent, par centaines de milliers, de fuir les bombardements, de nombreux acteurs du milieu culturel ukrainien se mobilisent dans l’espoir de sauver le riche patrimoine de leur nation meurtrie

Dans les principales villes du pays, une course folle est enclenchée depuis deux semaines pour mettre à l’abri peintures, sculptures et autres œuvres d’art et pour protéger de fragiles éléments architecturaux contre la chute des bombes et des missiles.

C’est le cas par exemple de la cathédrale Sainte-Sophie de Kyiv, joyau du patrimoine construit au XIe siècle, rappelle le quotidien Ouest-France dans un reportage publié il y a quelques jours. À ce jour, la cathédrale à l’architecture d’inspiration byzantine aurait été épargnée.

Cette cathédrale et l’ensemble des bâtiments monastiques et laure de Kyiv-Petchersk constituent l’un des sept lieux ukrainiens inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Cette branche de l’ONU a justement exprimé ses craintes face à l’invasion russe le 3 mars dernier. Indiquant d’abord que cette « escalade de la violence », marquée par la mort de nombreux civils et enfants est « totalement inacceptable », la directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, a lancé un appel à la protection du patrimoine culturel ukrainien, dont les sept sites du patrimoine mondial.

Elle réclame aussi la « sauvegarde d’Odessa et de Kharkiv, villes membres du réseau des villes créatives de l’UNESCO, ainsi que des archives nationales, dont certaines, appartenant au registre UNESCO de la Mémoire du monde, ou bien encore des lieux de mémoire de la tragédie de la Shoah ».

Cette préoccupation de l’UNESCO est entendue partout. Ainsi, le directeur du Musée des beaux-arts de Montréal, Stéphane Aquin, nous a fait parvenir cette déclaration : « Nous sommes terriblement attristés par la situation en Ukraine, que nous déplorons vivement, et demeurons préoccupés du sort réservé aux institutions culturelles et aux lieux dédiés à la mémoire. Pour le moment, nous suivons l’avancée des réflexions via l’Association of Art Museum Directors (AAMD) et l’Association des musées canadiens (AMC) et tentons d’identifier les meilleures façons pour nous d’aider et d’agir concrètement. Nous sommes absolument disposés à offrir nos ressources en partage avec nos collègues ukrainiens et à servir de refuge au patrimoine ukrainien en cas de besoin. »

Effets négatifs

Dans les médias européens, des reportages font état des efforts déployés partout dans le pays pour préserver les biens culturels.

The Guardian, parmi d’autres, rapporte que le Musée de la ville d’Ivankiv a été incendié, ce qui s’est traduit par la destruction des tableaux de Maria Prymachenko, artiste bien connue pour ses œuvres d’art naïf.

À Lviv, de nombreux trésors patrimoniaux ont été trouvés et cachés, poursuit le quotidien britannique. C’est le cas par exemple, d’un retable montrant Jésus, Marie et Marie-Madeleine retiré d’une église arménienne du XIVe siècle et caché dans un bunker. Cette même sculpture avait été soustraite au regard des nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU GUARDIAN

À Lviv, des travailleurs s’affairent à protéger quatre sculptures installées à la place du Vieux Marché.

Partout dans les rues, des échafaudages se dressent autour de statues, sculptures et parois d’églises qu’on essaie de mettre à l’abri en les enrobant de toiles et d'autres matériaux.

Au musée de Kharkiv, une partie des collections, vulnérables aux explosions, ont été descendues dans les caves. « Mais un changement radical dans le régime de température et d’humidité aura un effet négatif sur leur état de conservation », indique Olha Sahaidak, cofondatrice de l’organisation caritative et de réseautage culturel Dofa Fund, sur sa page Facebook.

Menacé, l’art continue aussi à divertir. Ainsi, selon Maria Glazounova une employée du Bureau des archives cinématographiques nationales à Kyiv citée par The Guardian, on a projeté, dans une station de métro, des films muets et des œuvres d’animation très populaires pour divertir les nombreux réfugiés des bombes.

Enfin, dans son numéro de jeudi, le magazine Le Point s’est entretenu avec Valery Freland, directeur général de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph) qui a débloqué un fonds d’urgence de 2 millions de dollars pour l’Ukraine.

« Cette première enveloppe doit financer des mesures d’urgence pour la protection des musées et des sites ukrainiens menacés, a-t-il déclaré. “Nous sommes d’ores et déjà engagés dans le soutien à la protection d’urgence d’une douzaine de musées ou sites ukrainiens, dans l’Ouest et dans le Sud. Des demandes d’aide nous arrivent chaque jour. La situation évolue rapidement et les combats s’intensifient. C’est donc une course contre la montre. »

M. Freland salue au passage les travailleurs des musées qui demeurent sur place. « Dans de nombreux musées, une grande partie du personnel a été appelé pour les efforts de défense et les membres de l’équipe restants font chacun le travail de 10 personnes, dans des conditions très difficiles. »

Avec Ouest-France, Le Point, The Guardian

Les sept sites ukrainiens inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO

La cathédrale Sainte-Sophie et l'ensemble des bâtiments monastiques et laure de Kyiv-Petchersk ; l'ensemble du centre historique de Lviv ; l'arc géodésique de Struve ; les forêts primaires et anciennes de hêtres des Carpates et d’autres régions d’Europe ; la résidence des métropolites de Bucovine et de Dalmatie ; les tserkvas en bois de la région des Carpates en Pologne et en Ukraine ; la cité antique de Chersonèse Taurique et sa chôra.

Source : Site internet de l’UNESCO

Un concert pour la paix à la basilique Notre-Dame

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le pianiste Jean-Michel Blais

Tandis que la guerre s’intensifie en Ukraine et que beaucoup de pays du monde s’apprêtent à accueillir des millions de réfugiés, des voix s’unissent pour offrir un concert de musique pour la paix à la basilique Notre-Dame à Montréal. L’Orchestre de l’Agora, sous la direction du chef Nicolas Ellis, le pianiste Jean-Michel Blais et la soprano Natalie Choquette seront présents, ainsi qu’une dizaine d’autres interprètes classiques. La comédienne Claudia Ferri assurera l’animation de la soirée et Nadia Monczak, la direction artistique. Le programme définitif de la soirée reste à confirmer, mais Bach, Chopin, Mozart et Max Richter seront au menu. Ce concert pour la paix est une initiative de la Fondation de la Famille Korwin-Szymanowski. Les profits seront versés à l’Association Folkowisko en Pologne, qui mène une mission humanitaire sur le terrain, auprès des victimes de la guerre.

Le mardi 22 mars, à 19 h 30, à la basilique Notre-Dame. Entrée libre, avec collecte de fonds volontaire.

Luc Boulanger, La Presse