La galerie d’art contemporain SBC présente, au Belgo, les fruits d’une collaboration avec le musée mexicain Ex Teresa Arte Actual, spécialisé dans la performance, la vidéo et le multimédia. Avec 18 vidéos, Chroniques : résonances traite des défis qui touchent le Mexique et l’Amérique latine en général. Mais aussi les pays du Nord.

Alors que les artistes ukrainiens ont dû délaisser pinceaux et objectifs pour défendre leur pays et que le monde de l’art russe s’oppose (en très grande majorité) à la guerre décidée par Vladimir Poutine, voici une exposition audiovisuelle qui nous amène, en un peu plus de deux heures, à constater que les attentes principales des citoyens du monde sont finalement toujours les mêmes : vivre en paix et dans un système démocratique qui garantit, à tout le moins, une certaine justice sociale.

L’exposition porte ces aspirations en touchant à des thèmes qui reviennent souvent dans l’actualité de l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud – d’où ces Chroniques, dans le sens de chronicité – tels que l’héritage du colonialisme, la violence… chronique (disparitions, enlèvements et assassinats), le patriarcat, les inégalités sociales, les discriminations de genre, le manque d’éducation et le racisme.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Vue de l’exposition Chroniques : résonances

Avec Le grand retour, de l’artiste guatémaltèque Regina José Galindo, on embrasse tous ces thèmes avec cette fanfare qui joue de la musique martiale… en reculant au lieu d’avancer dans une rue de Ciudad Guatemala. Tourner le dos au progrès en restant ancré dans le passé.

Un des segments les plus intéressants de l’expo évoque la remise en question des statues de personnages historiques dont les idées ou les actions apparaissent aujourd’hui désuètes, si ce n’est criminelles.

Un retour de boomerang constaté en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord, mais aussi au Mexique et en France.

Cuenda, de la Mexicaine Laura Valencia Lazada, montre une performance réalisée en 2011 sur le Paseo de la Reforma, à Mexico, pour honorer les milliers de personnes disparues dans ce pays. Pour leur donner une visibilité, les artistes ont camouflé, avec du fil de coton noir, les 14 statues situées sur cette artère.

Les commissaires du musée mexicain ont aussi choisi un film de l’artiste colombien Iván Argote. Celui-ci réside en Europe et s’est intéressé à la statue de l’ancien administrateur colonial français Joseph Gallieni (1849-1916) située place Vauban, à Paris.

Le film Au revoir Joseph Gallieni est la documentation d’une « fausse » intervention organisée par la politologue et militante féministe française Françoise Vergès. On croit voir le déboulonnage de la statue de Galliemi, mais il s’agit d’un montage pour faire réagir la population et la mairie quant à la proposition de ne plus honorer ce militaire qui prisait le travail forcé et la « séparation des races ».

Regardez un extrait du film Au revoir Joseph Gallieni

Les questions de patrimoine culturel et de droit au logement sont examinées dans Le patrimoine pèse, de la Mexicaine Perla Ramos que l’on voit traîner bruyamment, dans les rues de Quito, en Équateur, une caisse contenant un pavé du centre-ville historique. Une performance sur le poids actuel du patrimoine dans nos vies. Un thème au cœur de deux autres films sur le sens communautaire, la mémoire et l’attachement au sol, Mont de l’enchantement ; Volcan Chichón, de Tania Ximena et Yollotl Alvarado, et Essais sur la reconstruction (José Martí), de Joaquín Segura.

L’importance de l’éducation culturelle pour les enfants est abordée dans GuggenSITO, une vidéo du Mexicain Eder Castillo, dans laquelle un citoyen, enchanté de voir son enfant jouer dans un manège gonflable ressemblant au musée Guggenheim de Bilbao, ajoute qu’un musée dans son village ne nuirait pas. La poésie occupe une belle place dans Hollowman, un travail sur l’identité d’Ilián González, où la nature et l’urbanité sont mises en contraste.

La sélection de Ex Teresa Arte Actual comprend An Invisible Minority (2018), le film du Québécois Stanley Février, qui traite de la discrimination dont ont longtemps été victimes les artistes non blancs dans les espaces institutionnalisés de l’art, au Québec. Stanley Février, qui a eu son premier solo muséal l’an dernier, à 45 ans, souhaite plus de diversité dans les musées. Un désir en partie satisfait depuis qu’il a tourné ce film où lui et les artistes Michaëlle Sergile et Aimé Mbuyi jouent le rôle… de gardiens d’un musée qui ressemble au Musée d’art contemporain de Montréal.

Le machisme est également vilipendé avec un mélange d’humour et de gravité dans Macho intelectual, un film du groupe féministe-queer mexicain INVASORIX qui illustre, en chanson, la différence qui existe entre les bons sentiments et les actions.

Antigone, journal de rituels N.4 : à la fin, le début mérite aussi une mention. L’artiste vénézuélienne Livia Daza-Paris y rend hommage à la mémoire de son père, Iván Daza, disparu en 1966, à l’époque où le régime vénézuélien de droite était marqué par la disparition et les assassinats de dirigeants de gauche. Dans le film, elle part, avec sa fille, sur les chemins de la région où son père a disparu…

PHOTO LIVIA DAZA-PARIS, FOURNIE PAR SBC

Image d’Antigone, journal de rituels N.4 : à la fin, le début, de Livia Daza-Paris

Enfin, toujours sur le thème des disparitions, quelle belle et émouvante performance, à Toronto, de l’artiste mexicain Roberto de la Torre ! Pour rendre hommage aux 43 étudiants mexicains disparus en 2014 à Iguala, il a fait participer des amateurs d’art à une action qui consistait à faire des trous à l’extérieur avec pelles et truelles. Sans égard à l’aménagement paysager et aux espaces publics (jardin d’enfants) pour critiquer également l’attitude cavalière de certaines sociétés minières canadiennes dans les pays du Sud…

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Image tirée du film À ciel ouvert, de Roberto de la Torre

À noter qu’à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, plusieurs artistes de cette expo participeront, le 8 mars à 21 h, à une discussion virtuelle (en espagnol) sur leur travail. Et le 24 mars, à 18 h 30, un film de 60 minutes de l’artiste équatorien Fabiano Kueva évoquant le voyage du scientifique allemand Alexander Von Humboldt entre 1799 et 1802, sera diffusé (en espagnol, sous-titrage en français) au Cinéma public, 505, rue Jean-Talon Est, à Montréal.

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