Le projet d’Espace Riopelle au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) a forgé des liens étroits entre l’institution et l’instigateur du projet, Michael Audain. Le collectionneur, qui fournira 10 millions pour construire la nouvelle aile du musée, offre huit peintures majeures de Paul-Émile Borduas (d’une valeur totale de 9 millions) en attendant son don, d’ici 2025, de 39 œuvres de Riopelle. Quand on parle d’un geste exceptionnel de la part du mécène de Colombie-Britannique, le mot n’est pas excessif.
« La générosité de M. Audain et de Mme Karasawa est exemplaire, dit le directeur du musée, Jean-Luc Murray. Empreinte d’une passion et d’un respect sans précédent pour l’œuvre de l’artiste. Leur don permet non seulement de rapatrier au Québec les œuvres iconiques d’un artiste indissociable de l’histoire de l’art québécois, mais il contribue aussi à raviver la mémoire collective d’une époque déterminante pour notre province. »
Les 8 œuvres de Borduas s’ajoutent aux 21 que le musée possédait déjà. Ce don permet au MNBAQ de combler un manque en ce qui a trait à la période post Refus global, soit les années 1950. « Ça permet à notre collection de montrer l’évolution de son travail », dit Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l’art moderne (1900-1949) au musée et qui signe le commissariat de l’exposition.
Afin d’honorer les donateurs, le MNBAQ a choisi de montrer les tableaux au public tout en les faisant dialoguer avec des œuvres de sa collection qui ont un vocabulaire s’accordant avec celui de Borduas.
Nous sommes partis de la sensibilité de Paul-Émile Borduas et de l’émotion que sa peinture procure. Je me suis ensuite demandé quelles œuvres de notre collection pouvaient générer cette même émotion.
Anne-Marie Bouchard, commissaire de l’exposition
Le choix d’Anne-Marie Bouchard s’est porté sur six artistes québécois qui se rejoignent dans ce désir qu’avait Borduas de faire partager ses réflexions sur lui-même et sur la société : Dominique Blain, Michel Campeau, Alain Paiement, Jean Paul Riopelle, Michaëlle Sergile et Nadia Myre. « Je pense que ces liens parlent à l’intelligence du public, dit-elle. Ça touche l’envie qu’on a d’aller plus loin, de se dépasser, d’être libre. »
Des œuvres progressistes
Les artistes retenus signent des œuvres personnelles qui remettent souvent en question les valeurs désuètes. Comme l’a fait l’auteur de Refus global en rejetant l’immobilisme. « Un élan de libération pour soi et les autres qu’avait Borduas et je pense que les artistes choisis ont la même sensibilité, dit Anne-Marie Bouchard. Comme Michael Audain, qui était un militant dans sa jeunesse. »
En effet, dans la surprenante autobiographie de Michael Audain, One Man in His Time, trouvée à la librairie du musée, on apprend combien le plus important promoteur immobilier de la Colombie-Britannique a amorcé sa vie d’adulte en militant. Contre l’armement nucléaire et pour les droits des Noirs, un militantisme qui l’a conduit en prison au Mississippi ! Le collectionneur est ainsi en phase avec ces énergies latentes et progressistes que diffuse l’exposition.
À commencer par celles de Nadia Myre, avec ses créations qui parlent de dévouement, de libération et de fierté des autochtones. Tel son prémonitoire Indian Act, tout à fait en accord avec la démarche de Borduas. « Il y avait chez Borduas, comme chez Riopelle, ce souci de récupérer des choses, de les transformer, de changer leur intention, pour brouiller les cartes », dit Anne-Marie Bouchard, qui a judicieusement placé Indian Act près de la toile Graphisme. Et non loin du Sans titre (1989) de Riopelle, offert au musée par Huguette Vachon, dernière compagne du « trappeur supérieur », comme disait André Breton.
Les amateurs de Borduas apprécieront Arabesque, toile créée à New York en 1955, et la plus ancienne Grenouille sur fond bleu, peinte lorsqu’il travaillait dans l’atelier d’Ozias Leduc, en 1944, à Mont-Saint-Hilaire. Le thème du noir et blanc est appuyé par plusieurs œuvres. Évidemment Figures schématiques, mais aussi Circle, de Nadia Myre, Blanc de mémoire, de Dominique Blain, la série autobiographique Humus, de Michel Campeau, et l’installation textile Peau noire, masques blancs, de Michaëlle Sergile qui s’est inspirée de l’ouvrage du même titre de l’essayiste Frantz Fanon pour définir la trame de ses tissus.
La scénographie, orchestrée avec l’appui du designer Loïc Lefebvre, est réussie. Avec un esthétisme alternant espaces rouges et blancs. Et des liens parlant d’eux-mêmes. Comme l’installation vidéo Dérive, d’Alain Paiement, avec ces glaces dérivant sous le pont de Québec et qui suggèrent la série « noir et blanc » de Borduas. Finalement, voilà un captivant travail de commissaire. Qui repose, ravit et revigore, en ces temps troublés. « Borduas a incité toute une génération de jeunes hommes et de jeunes femmes à s’affranchir de pratiques artistiques stériles pour embrasser le droit à la liberté culturelle. » Michael Audain ne peut pas mieux illustrer la pertinence de Borduas, 62 ans après sa mort.
Consultez le site du Musée national des beaux-arts du Québec