La Manif d’art de Québec est un véritable circuit touristique et culturel au cœur de la Vieille Capitale. Avec une exposition centrale au Musée national des beaux-arts du Québec, une douzaine d’œuvres disséminées dans les espaces publics et des expositions dans les centres d’art de la cité ainsi qu’à Lévis et à Wendake. Munissez-vous d’un plan et go !

Des biennales d’art actuel comme la Manif d’art, disons-le tout de suite, on ne comprend pas pourquoi Montréal n’en propose pas de cette trempe. Se promener toute une journée en alternant les arrêts devant des œuvres installées dans l’espace public et des visites (au chaud !) de centres d’art, quel bonheur pour l’amateur d’art.

La Presse en a fait l’expérience pour cette Manif d’art, qui en est à sa 10e édition. Une judicieuse occasion de se rendre à Québec cet hiver, d’autant plus que les amateurs de patinage peuvent combiner une visite au MNBAQ et quelques tours de l’anneau de glace magnifiquement installé sur les plaines d’Abraham, tout près du musée.

Mais avant toute chose, il faut se préparer un circuit qui respecte les heures d’ouverture du musée et des centres d’art. Cela fait, on peut débuter par le MNBAQ qui ouvre ses portes tous les jours à 10 h. L’exposition centrale de la Manif d’art a été concoctée par le commissaire invité Steven Matijcio, directeur et conservateur en chef du Blaffer Art Museum de Houston. Il a choisi, avec à-propos, de traiter de la magie, de l’illusion et des apparences trompeuses dont on ne manque pas en ces temps où les artifices infestent notre quotidien.

Bernard Lamarche, notamment conservateur de l’art actuel au MNBAQ, a assisté Steven Matijcio dans la sélection des 21 artistes qui ont traité de l’imposture, du mensonge, de l’artifice et autres interprétations du réel.

L’exposition parle de perceptions visuelles, de perceptions du monde, avec des accents politiques, alors on ne peut pas être plus actuel que ça !

Bernard Lamarche, conservateur de l’art actuel au MNBAQ

C’est une installation de Karen Tam, commandée pour la Manif d’art, qui ouvre le parcours. Elle a reconstitué un « salon chinois » où se mêlent véritables œuvres d’art chinoises, fac-similés de collections muséales et faux objets créés en papier mâché par l’artiste. Avec une tapisserie dont les motifs évoquent le racisme dont sont victimes régulièrement les communautés asiatiques. Un semblant de bel ensemble qui en dit long sur la facilité de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

PHOTO LE SOLEIL, PATRICE LAROCHE

Salon chinois : White Gold, installation de Karen Tam

Dans la série des perceptions visuelles erronées, Caroline Cloutier expose une photographie que l’on pense être une porte qui s’ouvre ! Maskull Lasserre nous mystifie avec son tronc de frêne sculpté aux airs de corde torsadée. Tony Tasset nous épate avec son faux bonhomme de neige. Même chose avec Karine Payette et son faux poisson dans un aquarium. Ou avec le Monochrome bleu de Michel de Broin, qui transforme un conteneur à déchets en petite baignoire. Et Data, la forêt luxuriante entièrement virtuelle de Nicolas Baier…

Dans une salle obscure est diffusé A Journey That Wasn’t, un film du Français Pierre Huyghe. Des images de l’Antarctique mêlées à d’autres tournées dans Central Park. Difficile de distinguer la réalité de la fiction. On est tout aussi perplexe en regardant la vidéo Wearing Gillian, de l’artiste anglaise… Gillian Wearing, qui a greffé l’image de son visage sur celui d’autres personnes. Si bien qu’on ne sait plus qui est qui, même si tous les personnages affirment : « I am Gillian Wearing » !

  • Monochrome bleu, 2003, Michel de Broin

    PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

    Monochrome bleu, 2003, Michel de Broin

  • Les avortements de fantaisie 2, 2018, Annie Baillargeon

    PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

    Les avortements de fantaisie 2, 2018, Annie Baillargeon

  • Espaces sans espèces III, 2019, Karine Payette

    PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

    Espaces sans espèces III, 2019, Karine Payette

  • Study for Cord Progression (détail), 2017, Maskull Lasserre

    PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

    Study for Cord Progression (détail), 2017, Maskull Lasserre

  • Data, 2016, Nicolas Baier, impression jet d’encre, acrylique, acier

    PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

    Data, 2016, Nicolas Baier, impression jet d’encre, acrylique, acier

  • Passage, 2017-2019, Caroline Cloutier, impression numérique sur vinyle, acier inoxydable

    PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

    Passage, 2017-2019, Caroline Cloutier, impression numérique sur vinyle, acier inoxydable

  • Persuasion Mask, 2018, Brian Jungen, chaussures sport Nike Air Jordan, cuivre

    PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

    Persuasion Mask, 2018, Brian Jungen, chaussures sport Nike Air Jordan, cuivre

  • Untitled (Ricky Jay), 2010, Glenn Kaino, cartes à jouer

    PHOTO IDRA LABRIE, MNBAQ

    Untitled (Ricky Jay), 2010, Glenn Kaino, cartes à jouer

  • Image tirée du film A Journey That Wasn’t, de Pierre Huyghe

    PHOTO PIERRE HUYGUE, FOURNIE PAR LE MNBAQ

    Image tirée du film A Journey That Wasn’t, de Pierre Huyghe

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Œuvres dans les lieux publics

Après la visite au MNBAQ, une marche jusqu’au Château Frontenac, par la Grande Allée, fait du bien. Au bout du trajet, place d’Armes, on trouve l’œuvre Against the Run, de l’artiste berlinoise d’origine polonaise Alicja Kwade. Une horloge avec la trotteuse à contre-courant de la grande aiguille, mais qui donne quand même la bonne heure ! Ensuite, nous n’avons jamais trouvé l’œuvre de Cannupa Hanska Luger présentée à la Redoute Dauphine, non loin de l’Hôtel-Dieu…

Dommage, d’autant plus que nous n’avons pu nous rendre au Musée huron-wendat, à Wendake, où l’artiste autochtone américain présente aussi une installation, tout comme Ludovic Boney dont on a pu voir le travail photographique au Centre Alyne-LeBel, sur le boulevard Langelier. Trois photographies de son corpus Mémoires ennoyées. Des images de synthèse des épinettes englouties dans le cratère Manicouagan, sur la Côte-Nord, depuis 1969, lors de la mise en marche du barrage Daniel-Johnson. Une forêt sous-marine fantomatique, mais toujours debout, un demi-siècle plus tard.

Parmi les autres œuvres d’art dispersées dans la ville, signalons la sculpture interactive et sonore La pelle du printemps, de Jean-Pierre Gauthier, installée près de la porte Saint-Jean, les photographies de Nicolas Baier, Vikky Alexander et Annie Baillargeon, près de la patinoire de la place d’Youville, et celles de Gillian Wearing et de Jamie Isenstein, en face de l’église Saint-Roch.

À noter que pour plusieurs de ces œuvres installées sur l’espace public, les panneaux sont accompagnés de codes QR qui permettent d’obtenir des informations supplémentaires, notamment des commentaires sonores. Une bonne initiative de la Manif d’art, qui rend le parcours passionnant et complet.

Manif d’art, jusqu’au 24 avril.

Cinq incontournables

Dans les galeries et centres d’art participant à la 10e Manif d’art de Québec, on découvre toutes sortes de propositions artistiques, toutes aussi pertinentes les unes que les autres. En voici cinq qui nous ont particulièrement fait vibrer.

Annie Baillargeon

PHOTO FOURNIE PAR LA GALERIE 3

Baptême d’Ophélie, 2011 (revisitée en 2021),
Annie Baillargeon, impression jet d’encre, 30,5 x 30,5 cm

Annie Baillargeon est un peu la reine de la Manif d’art 2022. Saluée place d’Youville avec des images de sa série Les ruines des affamées, sur la solitude et le corps féminin objectivé, l’artiste a aussi cinq œuvres au MNBAQ, dans le cadre de l’expo Les illusions sont réelles. Et la Galerie 3, qui la représente, propose une petite rétrospective des thèmes qu’elle traite depuis plus de 20 ans, notamment la condition de la femme et l’articulation de l’identité. Bonne occasion de renouer avec des corpus tels qu’Adversités (2011), qui fait référence à son passé de jeune fille obligée d’assister à des célébrations religieuses. Avec des œuvres fortes comme Le bûcher ou Baptême d’Ophélie. Un corpus qu’elle est à l’aise de revisiter aujourd’hui. Son dernier travail, @squarefeminity, fait aussi l’objet d’une installation qui critique la « promotion faite sur les médias sociaux d’un modèle de femme uniformisé, proposé comme un idéal ».

Marc-Antoine K. Phaneuf

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Vue de l’installation de Marc-Antoine K. Phaneuf

Installation impressionnante que Conspirations à gogo présentée à la Maison de la littérature et signée Marc-Antoine K. Phaneuf, fan d’histoire et de culture populaire. L’artiste multidisciplinaire de Québec s’est attaqué aux thèses conspirationnistes en se nourrissant au cœur même des bêtises et des paranoïas qui inondent les réseaux sociaux. Il en a fait une sorte de nomenclature en tapissant des murs avec des thèmes, légendes urbaines et idées reçues qui fourmillent sur l’internet. À propos de Vladimir Poutine (surnommé « maître magouilleur »), de Donald Trump (« arme secrète de Poutine »), de l’évasion fiscale ou du complot Illuminati qui poursuivrait un plan de domination du monde. Des sujets que cet historien de l’art traite en mélangeant faux énoncés, rumeurs et humour dans le but de nous faire réfléchir sur les sources d’information et cette propagation d’inepties qui s’apparente à une pandémie…

Natascha Niederstrass

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Une des œuvres de Natascha Niederstrass

Ce fut long, mais Natascha Niederstrass a fini par montrer sa série Escamotage d’une femme conçue lors d’une résidence réalisée (après trois reports !) à Vu, l’an dernier à Québec. Un corpus d’œuvres qui dialoguent entre elles sur le thème de la disparition du corps féminin lors des spectacles de magie du XIXsiècle. Ceci, pour évoquer le regard, trop souvent violent ou inapproprié, porté sur les femmes de nos jours. « Je n’ai jamais autant entendu le mot féminicide que depuis quelque temps », dit l’artiste. L’installation comprend sept images, de style théâtre d’objets, avec un corps sombre manipulant des mains et des pieds en plâtre pour mettre une femme en action ; un château de cartes de dames, les cartes étant obscurcies pour évacuer toute hiérarchie ; et une reproduction du premier dispositif que les magiciens utilisaient pour faire « disparaître » une femme après l’avoir recouverte d’un drap opaque. Natascha Niederstrass présentera une autre expo en mai à la galerie Occurence, à Montréal, en collaboration avec l’artiste Caroline Fillion.

David Rokeby

PHOTO CAROL-ANN BELZIL-NORMAND, FOURNIE PAR LA CHAMBRE BLANCHE

Vue de l’œuvre Minimal Object (With Time on Your Hands)

La Chambre Blanche présente deux œuvres interactives du Torontois David Rokeby. La première, Minimal Object (With Time on Your Hands), se déclenche quand on approche la main d’un panneau de tissu accroché au mur et qu’on la déplace près du cadre. Nos mouvements entraînent des sons : cloches d’église, animaux qui halètent, bruits de verre, moteurs qui démarrent, téléphones qui sonnent, clochettes, etc. Au total, 300 sons qui deviennent cacophoniques si on bouge la main très vite et harmonieux si on frôle le tissu à petite vitesse. Avec la deuxième installation, Timbre Space, on bouge au sein d’un espace délimité par quatre enceintes qui produisent 512 sons accordés sur la note fa et dont l’émission dépend de nos mouvements. Dans cette architecture invisible du timbre sonore, le corps du visiteur définit une œuvre musicale composée de violons, de voix d’opéra et de sons électroniques et industriels plus ou moins intenses.

Skawennati

PHOTO LE LIEU

Vue de l’installation de Skawennati

Très belle installation de Skawennati au Lieu, dynamique centre d’art du quartier Saint-Roch. Dans une salle repeinte aux couleurs veloutées que l’artiste mohawk utilise pour créer Four Indian Kings, ses portraits de quatre chefs autochtones nord-américains du XVIIIe siècle. Des répliques de ceux, de style colonialiste, réalisés par le peintre néerlandais Jan Verelst (1648-1734) pour le compte de la royauté britannique, à l’occasion de la visite diplomatique des quatre chefs à Londres en 1710. Des œuvres qu’elle accompagne de quatre autres portraits de femmes autochtones qui se rendraient, dans le futur, en Angleterre pour rencontrer la reine. L’un des portraits la représente sous son avatar xox. Les trois autres sont ceux des Trois sœurs, personnifications du Maïs, de la Courge et du Haricot. Des portraits accompagnés de la traditionnelle ceinture wampum.

En savoir plus
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    Les illusions sont réelles dans 34 lieux d’exposition intérieurs et extérieurs dans le cadre de la Manif d’art de Québec.