Lancé en 2019 par Sébastien Barangé et Gérald Fillion, Adélard a réussi sa greffe au cœur de Frelighsburg. La population s’est approprié l’« activateur d’art actuel » qui fait connaître, chaque été, des artistes en résidence dans le village. Adélard, une façon décontractée de faire partager son amour de l’art. Et de tisser des liens.

De la mi-octobre à la mi-mai, la grange d’Adélard est fermée. En hibernation. On n’imagine pas, alors, l’effervescence qui s’en dégage dès que les pissenlits commencent à fleurir les pelouses biologiques de l’hôtel de ville de Frelighsburg. Quand Adélard renaît, le village réputé pour sa convivialité s’anime chaque fin de semaine de la saison estivale.

Chaque centre d’art a sa spécificité. Pour Adélard, la priorité est de communiquer et de faire partager. Logique, ses fondateurs sont des communicateurs aguerris. Gérald Fillion, journaliste économique à Radio-Canada. Et Sébastien Barangé, vice-président, relations publiques et responsabilité sociale d’entreprise, chez CGI, également à l’origine de la Brigade arts affaires de Montréal, créée en 2014.

Ils prenaient tous deux un verre dans un bar de New York en 2018 quand ces deux amateurs d’art – qui possèdent un chalet près de Frelighsburg – ont eu l’idée d’y créer un centre de résidences d’artistes.

Le village est un terreau fertile pour l’art. On allait souvent au sud de la frontière visiter The Invisible Dog Art Center, à New York, ou le Vermont Studio Center, à Johnson. Ça nous prenait trois heures pour aller à Johnson. On s’est dit : “Pourquoi on ne créerait pas chez nous un lieu que la communauté pourrait s’approprier ?”

Sébastien Barangé

Adélard Godbout

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Adélard Godbout, ancien premier ministre du Québec

Il a fallu trouver un nom à ce lieu. L’ancien premier ministre Adélard Godbout ayant vécu à Frelighsburg, son prénom a été choisi. « Pas pour lui rendre hommage, mais comme clin d’œil à son action », dit Gérald Fillion.

Adélard Godbout était un homme politique avec un bon sens commun. On doit à cet agronome et agriculteur la création d’Hydro-Québec et du Conservatoire de musique et d’art dramatique. Il est aussi derrière le droit de vote des femmes (1940) et l’école obligatoire et gratuite (1943). « Son rapport à la culture et au patrimoine a donc été très fort, dit Gérald Fillion. Et les Godbout sont encore à Frelighsburg ! »

« Et puis Adélard, un prénom, c’était aussi pour que l’art soit accessible, ajoute Sébastien Barangé. On voulait enlever tout vocable d’art contemporain qui met une barrière entre les gens et l’art. Une grange avec une porte ouverte, ce n’est pas un grand cube blanc. »

Adélard n’est ni un centre d’art ni une galerie. Mais un lieu de rencontres. Doté d’un budget inférieur à 200 000 $, il fonctionne avec le soutien de ses membres et des subventions. La campagne de sociofinancement de ce printemps a généré quelque 80 000 $, grâce à la solidarité de 160 citoyens et entreprises, la plupart de la région. « Le plus gros donateur, chaque année, ce sont les citoyens », dit M. Barangé.

Bénévolat

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L’œuvre Ténèbres, 2015, de Chloé Beaulac, sur un des murs de la grange d’Adélard

Adélard est une histoire de bénévolat. Une vingtaine de personnes (dont 16 de la région) planifient l’expo annuelle et la venue des artistes. Ces bénévoles sont de tous horizons. Les artistes Sara A. Tremblay et Geneviève Marois-Lefebvre, les commissaires Ji-Yoon Han et Sylvie Lacerte, le directeur artistique Gauthier Melin, le gestionnaire culturel Franck Michel et l’historienne de l’art Francine Couture forment le comité artistique.

Au conseil d’administration, on trouve notamment les entrepreneurs Ludovic Bastien, Laurence Harnois et Laurence Levasseur, la VP, affaires publiques, de Tourisme Montréal Manuela Goya, l’ingénieur Régis Boussion et l’avocat Steeves Bujold. « Pour nos objectifs, il fallait que le C.A. soit ancré dans le village, dit Gérald Fillion. Ça nous a permis de créer des liens et de les entretenir. On a même au C.A. l’arrière-petite-fille d’Adélard Godbout Annick Jobin ! »

Adélard occupe une grange qui appartient à Philippe Choinière, cofondateur d’Oneka, la boutique de produits de soins personnels voisine d’Adélard. Beat & Betterave, le café-spectacles voisin, collabore aussi avec Adélard. « Ils amènent du nouveau monde et le font sans tasser la communauté », dit Ludovic Bastien, copropriétaire du lieu.

Le maire de Frelighsburg, Jean Lévesque, a accueilli Adélard à bras ouverts. « L’arrivée d’Adélard était comme une continuité dans l’orientation culturelle du village qui a eu, pendant 18 ans, le Festiv’Art, dit-il. Adélard a des effets positifs sur le tourisme et va devenir de plus en plus gros. Gérald et Sébastien sont dévoués et font un travail extraordinaire. Je les ai vus travailler à quatre pattes pour peinturer la grange et mettre la place belle ! »

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Une partie de l’équipe d’Adélard. De gauche à droite, Sébastien Barangé, Isabelle Hébert, responsable des relations avec la communauté et des artistes en résidence, l’artiste Jacinthe Loranger, Geneviève Marois-Lefebvre, responsable des équipes éducatives, et Gérald Fillion.

Vivant à Frelighsburg, l’auteure de scénarios Isabelle Hébert s’occupe des relations avec la communauté et des artistes en résidence. « Ça fait partie des points gagnants, la façon dont on reçoit les gens », dit-elle.

Adélard, c’est convivial et respectueux tout en étant professionnel.

Isabelle Hébert, responsable des relations avec la communauté et des artistes en résidence

Adélard a adopté une charte du développement durable et s’engage pour la diversité. Afin de respecter les valeurs du village et d’y adhérer. « On ne fera pas de vernissage avec des verres en plastique, dit Sébastien Barangé. Quand même ! Et on se fournit localement… les affiches, le vin, la bière, tout est local, sauf l’encadrement des œuvres ! »

Le contact avec la population, c’est aussi une vingtaine d’activités de médiation. Des camps de jour et des ateliers créatifs, notamment un sur l’image, cette année, organisé avec Ubisoft.

« En 2020, nous avons offert des activités en plein air et dans des salles adaptées aux mesures sanitaires, dit Geneviève Marois-Lefebvre, responsable des équipes éducatives. Cette année, nous allons avoir des médiations dans les écoles de la région. Et nous allons diversifier les clientèles en nous adressant aux adolescents et aux aînés. »

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Monolithe, 2020, de Chloé Beaulac

Adélard correspond à la vision que Sébastien Barangé a de l’art. Un art en lien avec l’éducation et la construction d’une communauté. « Même d’une citoyenneté », dit-il. Gérald Fillion prend aussi beaucoup de plaisir à frayer dans ce milieu. « C’est complètement autre chose par rapport à mon travail de journaliste, dit-il. En même temps, ça touche à l’entrepreneuriat. Je ne me sens pas si loin de ce que je fais. »

Une activité artistique que Sébastian Barangé qualifie de slow art, dans la foulée du slow food. Une approche tranquille et détendue de l’art. « Au rythme de la rivière aux Brochets qui traverse le village, dit-il. Un art loin de l’art-fric. Un art ramené au contact humain qui permet aux visiteurs de ne pas être mal à l’aise s’ils ne connaissent pas ou ne comprennent pas. La rencontre avec les artistes leur permet d’entrer dans leur univers. »

Des résidences et une expo

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Jacinthe Loranger

Chaque année, Adélard organise trois résidences estivales de six semaines pour trois artistes professionnels. L’atelier et le logement sont fournis. La Presse a rencontré la première artiste de 2021, Jacinthe Loranger, et a visité l’exposition annuelle.

Jacinthe Loranger est en résidence jusqu’au 27 juin. Déjà, elle connaît bien du monde du village de 1000 habitants. « Je suis ravie d’avoir été choisie, car on est super bien à Frelighsburg, dit-elle. Adélard, c’est top comme endroit. Ça colle parfaitement à mes projets. »

Jacinthe Loranger loge dans un appartement du village. « C’est pour ça qu’on dit que les artistes sont en immersion ici, dit Gérald Fillion. Ils font tout à pied. » Son atelier est dans la grange. Elle y a déployé deux installations, une au rez-de-chaussée, l’autre à l’étage. Un clin d’œil à son travail précédent qui permet d’avoir une idée de son style et des recherches qu’elle mène.

Venant de l’art imprimé, Jacinthe Loranger récupère des objets pour créer des moulages en plâtre. Même des objets trouvés dans les poubelles d’artistes qu’elle côtoie ! Merci, Valérie Blass et Simon Belleau ! Elle photographie ensuite ses petites sculptures en studio ou en pleine nature avant de passer à la sérigraphie.

  • Soyez doux, une impression numérique de Jacinthe Loranger créée à partir d’une installation dans la nature

    PHOTO FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Soyez doux, une impression numérique de Jacinthe Loranger créée à partir d’une installation dans la nature

  • Vanité, 2020, Jacinthe Loranger, impression numérique, 34 cm x 46 cm

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    Vanité, 2020, Jacinthe Loranger, impression numérique, 34 cm x 46 cm

  • La dérive, 2020, Jacinthe Loranger, impression numérique, 34 cm x 46 cm

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    La dérive, 2020, Jacinthe Loranger, impression numérique, 34 cm x 46 cm

  • Textures du confinement, 2020, Jacinthe Loranger, impression numérique, 34 cm x 46 cm

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    Textures du confinement, 2020, Jacinthe Loranger, impression numérique, 34 cm x 46 cm

  • Décalogue en tie dye, 2020, Jacinthe Loranger, impression numérique, 30 cm x 41 cm

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    Décalogue en tie dye, 2020, Jacinthe Loranger, impression numérique, 30 cm x 41 cm

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Adélard organise aussi une expo annuelle. Présentée du 22 mai au 21 décembre, elle s’intitule cette année L’objet de la nature. Commissariée par Mona Hakim, il s’agit d’un parcours dans Frelighsburg et Dunham où 15 photographies de 5 artistes ont été associées à des façades de maisons ancestrales.

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Jacinthe Loranger

Les artistes sont Chloé Beaulac, Judith Bellavance, Yan Giguère, Normand Rajotte et Chih-Chien Wang.

Des photographes qui travaillent notamment sur la nature. Mais ça peut aussi être une référence au corps, aux aliments transcendés, comme pour Chih-Chien, aux détails d’une promenade, comme avec Judith Bellavance et Normand Rajotte, ou à une nature plus mystique dans le cas de Chloé Beaulac.

Mona Hakim, commissaire de l’expo L’objet de la nature

  • Photographies de Yan Giguère sur la façade des Sucreries de l’érable, à Frelighsburg

    PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

    Photographies de Yan Giguère sur la façade des Sucreries de l’érable, à Frelighsburg

  • Deux photographies de Chih-Chien Wang et Normand Rajotte, à Dunham

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    Deux photographies de Chih-Chien Wang et Normand Rajotte, à Dunham

  • Une photographie de Yan Giguère sur la Maison Maynard, occupée actuellement par le restaurant Bodega, à Dunham

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    Une photographie de Yan Giguère sur la Maison Maynard, occupée actuellement par le restaurant Bodega, à Dunham

  • Une œuvre de Normand Rajotte près de l’entrée du café-spectacles Beat & Betterave

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    Une œuvre de Normand Rajotte près de l’entrée du café-spectacles Beat & Betterave

  • Une oeuvre de Judith Bellavance sur la maison des chapeliers Alex Surprenant et Mélodie Lavergne, à Frelighsburg

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    Une oeuvre de Judith Bellavance sur la maison des chapeliers Alex Surprenant et Mélodie Lavergne, à Frelighsburg

  • Le lièvre du 23 décembre, de Normand Rajotte, près de la vieille école de Frelighsburg

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    Le lièvre du 23 décembre, de Normand Rajotte, près de la vieille école de Frelighsburg

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Muni d’un plan, on va d’une maison à une autre et d’un village à l’autre (9 km) pour apprécier ces photographies et ces demeures qui ont toutes une histoire intéressante. Une activité idéale pour se promener tout en découvrant des photographies et des boutiques qui font le charme des deux villages.

Deux autres expos d’Adélard auront lieu pendant l’été. La rivière aux Brochets, d’Alain Lefort, du 19 au 29 août dans la grange. Et Nutshimit – Les pays intérieurs, du 21 août au 17 octobre, dans l’église Bishop Stewart Memorial, un commissariat de Naomi Fontaine et de Charles Binamé. De quoi aller fraterniser avec le village de l’ancien comté de Missisquoi très prisé également des motards aux engins pétaradants !

Adélard, 23, rue Principale, Frelighsburg

Consultez le site d’Adélard