L’artiste montréalaise Janet Werner n’a pas arrêté de peindre depuis le début de la pandémie. Tant mieux. Son nouveau corpus, There There, présenté jusqu’au 13 juin à la galerie Bradley Ertaskiran, est tout simplement époustouflant.

Il est des moments où l’on se sent choyé. En découvrant, une à une, les 15 toiles de Janet Werner à la galerie Bradley Ertaskiran, j’avais l’impression que le père Noël venait de passer au 3550, rue Saint-Antoine Ouest. Le corpus 2020-2021 de la peintre figurative est tout simplement splendide.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Breaker, 2020, Janet Werner, huile sur toile, 152,5 x 122 cm

Esthétiquement séduisante, techniquement élaborée et brillante, et à teneur encyclopédique, sa production atteint un sommet. On voudrait tout acheter, mais, misère, les toiles sont vendues entre 6000 $ et 28 000 $ !

Son travail est d’une complexité incroyable. L’exposition montre la maturité de cette artiste qui, à 62 ans, continue d’expérimenter et de pousser son travail toujours plus loin.

Antoine Ertaskiran, copropriétaire de la galerie Bradley Ertaskiran

D’ailleurs, Janet Werner fraiera de nouveau sur le marché américain en novembre alors qu’elle exposera à Arsenal New York. Ayant dû quitter son studio du 305, rue de Bellechasse où elle est restée 20 ans, elle crée désormais avenue de Gaspé. « Ça m’a pris des ajustements, dit-elle. Cinq mois d’adaptation. Maintenant, j’y suis très heureuse. Ça fait du bien de changer. »

Nouvelles couleurs

La hauteur des plafonds et les grandes fenêtres du nouvel atelier ont généré chez elle des sensations inédites et une envie de coloris plus intenses. Comme dans Pink suit. « J’aurais dû l’appeler The Big Pink, tellement c’est rose ! dit-elle. J’ai fini par favoriser des teintes que je percevais comme superficielles, trop bonbon. »

  • Pink suit, 2020, Janet Werner

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    Pink suit, 2020, Janet Werner

  • VÅR, 2020, Janet Werner

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    VÅR, 2020, Janet Werner

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Pink suit est charismatique. Tout comme VÅR (« PRINTEMPS », en suédois), une peinture contrastée. Entre renaissance et finitude, avec cette femme allongée dans le noir et qui semble en apesanteur.

Janet Werner demeure Janet Werner. Ses toiles explorent toujours son approche des femmes. Élégantes, étranges, fières, pensives ou déterminées. Parfois désolées, abattues ou vulnérables.

Elle a aussi peint une jeune femme noire. Une petite peinture, discrète. La femme scrute devant elle à travers des lunettes mauves. « Pas facile à peindre, Scry », dit-elle. Mais elle tenait à intégrer une femme noire dans ce corpus et s’y atteler avec le plus de sollicitude possible. Pour marquer son attachement à une meilleure représentation et à une plus juste considération des communautés noires dans nos sociétés.

Du Werner classique

On retrouve évidemment son style unique dans Lauren (yellow suit). Peint au tout début de son arrivée sur de Gaspé. Une œuvre forte et mystérieuse. Avec cette femme vêtue comme un dandy, conquérante, presque défiante.

  • Lauren (yellow suit), 2021, huile sur toile, 175,5 x 129,5 cm

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    Lauren (yellow suit), 2021, huile sur toile, 175,5 x 129,5 cm

  • Scry, 2021, Janet Werner, huile sur toile, 51 x 45,5 cm

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    Scry, 2021, Janet Werner, huile sur toile, 51 x 45,5 cm

  • Plaza (gold room), 2021, Janet Werner, huile sur toile, 51 x 61 cm

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    Plaza (gold room), 2021, Janet Werner, huile sur toile, 51 x 61 cm

  • Rabbit, 2020, huile sur toile, 129,5 x 175,5 cm

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    Rabbit, 2020, huile sur toile, 129,5 x 175,5 cm

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Depuis la pandémie, ses œuvres empruntent beaucoup plus à l’abstraction et au collage, des couches narratives se superposant grâce à des formes géométriques et architecturales, comme dans Scry, Jester, Fendi2, Breaker ou Suite. Cette dernière est la plus sensuelle de l’expo. On y distingue non pas deux, mais trois personnages. Grâce à un effet de miroir. La femme brune, dans une posture osée, nous regarde. Comme en attente…

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Suite, 2020, Janet Werner, 175,5 x 129,5 cm

Plaza (golden room) possède aussi cette construction à plusieurs niveaux. Associant, dans ce cas, le présent aux souvenirs de jeunesse de Janet Werner à Winnipeg. Jester est également très évocatrice avec des allusions au mouvement #moiaussi et à la notion de genre. Un côté coquin aussi, voire troublant, avec ce bras qui n’est pas celui du personnage androgyne (au nombril poilu) et qui saisit son sein tandis qu’il ou elle (qu’il et elle ?) fait « chut ! »

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Fendi2 et Jester, de Janet Werner

Ces peintures font du bien en cette saison douce qui débute enfin. On s’attache à cet esthétisme léché, à cette variété d’arguments et ces couleurs travaillées qui saisissent sans choquer. L’artiste veut poursuivre ses expériences d’une plus grande inclusion d’abstraction. En essayant de ne pas être trop prévisible.

J’aime me sentir perdue puis retrouver plus tard la peinture. Mais c’est une agonie chaque fois ! On se demande si c’est bon, si c’est fini, comment ça va être perçu. La création, c’est terrifiant ! Je ne suis jamais satisfaite du résultat ! Je fais juste du mieux que je peux !

Janet Werner

En 2019, elle avait dit espérer que la fin de sa carrière de professeure à Concordia lui permettrait d’être moins stressée. « C’est le cas, dit-elle. Mais bon, je suis peintre ! Le vaccin contre la COVID m’a rassurée, mais c’est quand même effrayant, ce virus. On est déstabilisé et reclus. Là, j’ai juste envie de parler à des gens ! »

Infos : bradleyertaskiran.com