Première exposition solo de Yann Pocreau au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), Les impermanents est une incursion dans l’univers de cet artiste en perpétuelle quête de savoirs et d’applications, que ce soit à partir des rouages de l’existence, de ceux du cosmos ou de ceux de la photographie.

À 40 ans, Yann Pocreau est au sommet de son art. L’ex-conservatrice de l’art contemporain au MBAM, Geneviève Goyer-Ouimette, et l’ex-directrice Nathalie Bondil avaient été convaincues par son talent en visitant son atelier de la Fonderie Darling durant sa résidence en 2016-2018.

« Quand j’ai su que j’exposerais rue Sherbrooke, Pocreau était petit dans ses shorts ! Depuis, avec la pandémie et les gens tombés autour de moi, je le prends comme un très grand privilège », dit l’artiste.

Ce premier solo a été reporté plusieurs fois. Confinement oblige. Très secoué par la pandémie, sans parler de la perte de sa mère, Yann Pocreau aurait pu passer à autre chose. Mais il a continué à réfléchir, à expérimenter et à garder le « projet vivant », comme l’explique la commissaire Sylvie Lacerte, avec qui il a collaboré étroitement pour cette expo.

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Sylvie Lacerte, commissaire de l’exposition, et l’artiste Yann Pocreau

Poète de la lumière, Yann Pocreau en est au stade où ses expériences conceptuelles l’ont conduit à des réflexions existentielles qu’il a liées à sa fascination pour les questions photographiques et astronomiques. En sont issues des créations de différents médiums qui évoquent en même temps notre expérience collective d’un quotidien fragile et menaçant.

La lumière saute aux yeux quand on entre dans le cabinet graphique du musée. Le visiteur en remarque le contraste dans ses deux salles. La première a une ambiance tamisée (un travail raffiné de l’éclairagiste Sylvain Lacroix) et l’autre est plongée dans la pénombre. On y pénètre après être passé devant Les astres, photographie prise dans son atelier « pour convaincre Nathalie [Bondil] que l’expo pourrait avoir lieu ! », dit-il en riant.

L’œuvre fait le lien avec la pièce sombre qui diffuse La Lune, pour moi, le 20 juillet 2018, série de diapos découlant de sa résidence à l’Observatoire du Mont-Mégantic. À côté sont exposés 74 vieux portraits photographiques, trouvés chez des antiquaires puis percés avec des aiguilles de différentes tailles pour représenter les 88 constellations recensées par Eugène Delporte en 1930.

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Les impermanents, 2017-2021, Yann Pocreau, cartes de visite « format cabinet » percées, boîtiers lumineux, dimensions variées

Une réflexion brillante sur le souvenir, l’« impermanence » des poussières d’étoiles que nous sommes. Et sur l’importance du portrait en Amérique. « En Europe, l’identité collective s’est construite sur l’imagerie des monuments, des églises et sur le passé, alors qu’ici, le portrait est une des premières grandes manifestations de l’individualisme nord-américain », dit Yann Pocreau.

Dans la grande salle sont accrochées deux séries douces d’impressions lumen, photographies d’objets obtenues par exposition plus ou moins longue au soleil. Certaines, « impermanentes », vont devenir monochromes durant l’expo. D’autres ont été traitées avec un fixateur et ne bougeront pas.

La plus grande série, Ces choses qui me manqueront (index), comprend des dessins, des allusions à l’astronomie, des fleurs provenant des obsèques de la mère de l’artiste, des références à son atelier, etc.

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Ces choses qui me manqueront (index), 2020, Yann Pocreau, épreuves lumen (certaines sans fixateur)

Yann Pocreau a aussi réalisé des cyanotypes, suivant un vieux procédé qui consiste à appliquer un mélange photosensible sur une surface sur laquelle on pose un objet avant de l’exposer à la lumière, ce qui donne des tirages bleu cyan. L’artiste les a réalisés à l’extérieur, près d’Orford, avec des expositions au soleil et à la pleine lune.

Finalement, Les impermanents comprend de grands rayons solaires en laiton doré, qui semblent transpercer le mur et pénétrer dans le plancher. Ils « créent une cohésion dans l’ensemble d’œuvres », dit Sylvie Lacerte, et rappellent Cathédrale, œuvre créée à la Fonderie Darling. Ces rayons solaires font référence aux rayons du soleil, bien sûr, mais aussi à l’unité de longueur utilisée pour exprimer la taille des étoiles.

PHOTO FOURNIE PAR LA FONDERIE DARLING

L’œuvre Cathédrale, présentée à la Fonderie Darling en 2013

On retrouve l’idée de ces rayons en version 24 carats à la jonction de deux pages d’un album de photographies du XIXe siècle. Une autre déclinaison probante de Yann Pocreau, un artiste qui ne cesse de rayonner et dont on verra, en mai, chez Blouin Division, un autre éclairage de son dada pour la lumière…

  • Inaltérables, 2020, Yann Pocreau, cyanotype et album photo XIXe siècle

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Inaltérables, 2020, Yann Pocreau, cyanotype et album photo XIXe siècle

  • Les astres, 2018-2020, Yann Pocreau, impression numérique, 211 cm sur 140 cm

    PHOTO FOURNIE PAR LE MBAM

    Les astres, 2018-2020, Yann Pocreau, impression numérique, 211 cm sur 140 cm

  • Vue de l’exposition Les impermanents, de Yann Pocreau

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Vue de l’exposition Les impermanents, de Yann Pocreau

  • Entre le bleu, la nuit, 2020, Yann Pocreau, cyanotypes tirés à la lumière lunaire et solaire (8 h ; 1 h 15 min)

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    Entre le bleu, la nuit, 2020, Yann Pocreau, cyanotypes tirés à la lumière lunaire et solaire (8 h ; 1 h 15 min)

  • Entre le bleu, la nuit (détail), 2020, Yann Pocreau, cyanotypes tirés à la lumière lunaire et solaire (8 h ; 1 h 15 min)

    PHOTO FOURNIE PAR LE MBAM

    Entre le bleu, la nuit (détail), 2020, Yann Pocreau, cyanotypes tirés à la lumière lunaire et solaire (8 h ; 1 h 15 min)

  • Ces choses qui me manqueront, 2020, Yann Pocreau, épreuves lumen (certaines sans fixateur)

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    Ces choses qui me manqueront, 2020, Yann Pocreau, épreuves lumen (certaines sans fixateur)

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Les impermanents, de Yann Pocreau, jusqu’au 1er août au MBAM