Il ne sera pas le chef d’orchestre flamboyant du Musée des beaux-arts de Montréal. Stéphane Aquin prend son rôle de directeur général avec humilité et l’ambition d’« améliorer les rouages » du musée et d’y introduire de nouvelles idées avant de passer « le témoin ». Nommé pour trois ans, il veut rénover l’institution qu’il affectionne depuis 30 ans. La Presse a rencontré cet amoureux de l’art appelé soudainement à remplacer Nathalie Bondil.

Une enfance nomade

Né en 1959 à Montréal, Stéphane Aquin est le deuxième fils de Thérèse Larouche, âgée de 92 ans, et de l’écrivain Hubert Aquin, disparu en 1977. Un père qu’il n’a guère connu, ses parents ayant entamé un divorce en 1966. « C’est davantage son absence qui a eu de l’influence sur mon enfance, dit-il. Je n’ai appris qu’assez tard ce que mon père avait accompli. »

Il ne s’est d’ailleurs jamais penché sur l’œuvre d’Hubert Aquin comme il l’a fait pour Tolstoï, Gaston Miron ou Friedrich Dürrenmatt. Même s’il a peu fréquenté son père, il sent tout de même qu’il lui ressemble. « Il y a une sorte de composition émotionnelle étonnamment semblable, dit-il. C’était un homme totalement ancré dans sa réalité. »

Californie et Suisse

Stéphane Aquin et son frère ont suivi leur mère en 1967 à San Francisco. « Ayant travaillé à Radio-Canada, elle voulait y poursuivre des études de lettres françaises. Elle a enseigné là-bas dans une école primaire. »

On vivait modestement dans le quartier Sunset. Cette période m’a marqué. J’entrais dans un monde où il y avait une grande liberté d’être.

Stéphane Aquin, nouveau directeur général du MBAM

En 1971, les deux frères ne se parlaient plus qu’en anglais. Fière de ses racines canadiennes-françaises, Thérèse Larouche décide de les envoyer en Suisse pour profiter d’un système éducatif réputé. Ils atterrissent dans un modeste internat de campagne, à Estavayer-le-Lac, dans le canton de Fribourg.

Pendant quatre ans, Stéphane Aquin y améliore son français (prend l’accent fribourgeois !), apprend l’allemand et le latin… qui lui sert encore à « structurer [sa] pensée », dit-il. À 15 ans, il retourne à Ottawa où sa mère est installée. À l’issue du secondaire, il abandonne le cégep après quelques semaines, à cause du contraste avec l’éducation suisse. « Je m’emmerdais, dit-il. La qualité de l’enseignement était discutable, j’ai préféré apprendre par moi-même. »

Les apprentissages

À 19 ans, il quitte Ottawa pour Québec, travaille comme libraire chez Pantoute, fait un peu de radio, écrit dans la revue Nuit blanche et lit énormément. Puis part à Montréal et s’inscrit en histoire de l’art à l’Université de Montréal. D’où lui vient cet intérêt pour l’art ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Stéphane Aquin admire une œuvre de l’artiste Yann Pocreau, qui expose actuellement au musée.

« J’adorais l’art depuis l’âge de 14 ans. J’aimais ces objets visuels au croisement de l’imaginaire et du talent. À Québec, avec peu d’argent, je m’étais acheté une œuvre de Jean Dubuffet et une estampe de Tapiès. Ma mère avait une petite galerie d’estampes à Hull, donc je découvrais beaucoup d’art, mais de façon modeste. » L’histoire de l’art lui permet surtout de toucher à des domaines qui le passionnent : l’histoire, la littérature et la musique.

À l’époque, je ne pensais pas en faire une carrière. C’était un pur intérêt intellectuel.

Stéphane Aquin, nouveau directeur général du MBAM

En 1987, une de ses professeures lui permet de devenir guide au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC). « J’y ai énormément appris pendant un an, puis Michel V. Cheff, le directeur des services éducatifs qui m’avait embauché au MBAC, est parti comme conservateur en chef au Musée du Québec [aujourd’hui le MNBAQ] et m’a pris comme recherchiste. J’y suis, par la suite, devenu assistant de la conservatrice Louise Déry. »

Du MBAM au Hirshhorn

En 1990, Stéphane Aquin (nouveau directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal) retourne à Montréal et fait ses premiers pas au MBAM en tant que chargé de projets auprès du directeur de l’époque, Pierre Théberge. « J’ai beaucoup appris de lui, dit-il. Il était intellectuellement extraordinaire. Il avait une grande curiosité artistique qui embrassait le cinéma, le design, les arts anciens, modernes, contemporains. »

Stéphane Aquin estime que Pierre Théberge a établi l’ADN actuel du MBAM. Avec des expos liées à la culture populaire comme la rétrospective Pierre Cardin, Le musée imaginaire de Tintin ou l’exposition Beauté mobile, vertement critiquée alors par le journaliste… Stéphane Aquin ! Ex-critique d’art à l’hebdomadaire Voir (une parenthèse médiatique allant de 1992 à 1998), il a mis, depuis, de l’eau dans son vin. « Je ne voyais pas l’intérêt artistique de cette exposition sur les automobiles, dit-il. Rétrospectivement, les colères de la jeunesse s’étant apaisées, je pense que M. Théberge avait raison. »

Quelques œuvres du Musée appréciées par Stéphane Aquin

  • Chiffonnier You Can’t Lay Down Your Memories [On ne peut se défaire de ses souvenirs], 1991, Tejo Remy (1960-), érable, tiroirs recyclés, coton. Édité par Droog Design, Amsterdam. Collection MBAM.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Chiffonnier You Can’t Lay Down Your Memories [On ne peut se défaire de ses souvenirs], 1991, Tejo Remy (1960-), érable, tiroirs recyclés, coton. Édité par Droog Design, Amsterdam. Collection MBAM.

  • Jeunes filles dansant autour d’un obélisque, 1798, Hubert Robert (1733-1808), huile sur toile. Collection MBAM.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Jeunes filles dansant autour d’un obélisque, 1798, Hubert Robert (1733-1808), huile sur toile. Collection MBAM.

  • Au théâtre, 1928, Prudence Heward (1896-1947), huile sur toile. Collection MBAM.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Au théâtre, 1928, Prudence Heward (1896-1947), huile sur toile. Collection MBAM.

  • Composition (Monstre mangeant le Monde), 2018, Shuvinai Ashoona (1961-), crayon de couleur, crayon feutre. Collection MBAM.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Composition (Monstre mangeant le Monde), 2018, Shuvinai Ashoona (1961-), crayon de couleur, crayon feutre. Collection MBAM.

  • L’œil, 2010-2011, David Altmejd, bronze, fonte Atelier du Bronze, Inverness (Québec). Collection MBAM.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    L’œil, 2010-2011, David Altmejd, bronze, fonte Atelier du Bronze, Inverness (Québec). Collection MBAM.

  • Stéphane Aquin devant le tableau Autoportrait, de Manuel Mathieu (2017)

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Stéphane Aquin devant le tableau Autoportrait, de Manuel Mathieu (2017)

  • Stéphane Aquin devant un masque funéraire égyptien datant de 664 à 525 avant l’ère chrétienne. Collection MBAM.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Stéphane Aquin devant un masque funéraire égyptien datant de 664 à 525 avant l’ère chrétienne. Collection MBAM.

  • Stéphane Aquin devant le tableau Nature morte aux coquillages et au corail, de Jacques Linard (1597-1645). Collection MBAM.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Stéphane Aquin devant le tableau Nature morte aux coquillages et au corail, de Jacques Linard (1597-1645). Collection MBAM.

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En 1995, Stéphane Aquin entreprend un doctorat en sociologie de l’art qu’il abandonne en 1998, quand il retourne au MBAM comme conservateur de l’art contemporain sous la direction du muséologue et historien français Guy Cogeval. Une association qui va donner au musée tout un élan pour l’art contemporain, devenu un axe important de sa programmation. Puis, conservateur sous la direction de Nathalie Bondil à partir de 2007, Stéphane Aquin a particulièrement aimé travailler telles que Pierre Dorion, Peter Doig, Western et Andy Warhol Live.

Un appel de Washington

En 2015, il quitte le MBAM, alors dirigé par la muséologue franco-canadienne Nathalie Bondil, pour aller travailler au musée Hirshhorn, à Washington. « Je m’en allais chercher ma voiture de location pour partir en vacances quand Melissa Chiu [la directrice du Hirshhorn] m’a appelé. Je la connaissais un peu. »

Je pensais que c’était pour l’exposition Peter Doig, mais elle m’a demandé si je voulais devenir le conservateur en chef du Hirshhorn ! Je ne cherchais pas de poste ! Je lui ai dit de me laisser y penser.

Stéphane Aquin, à propos de l’offre de Melissa Chiu, directrice du Hirshhorn

Quelques jours plus tard, il pose sa candidature. En allant rencontrer Melissa Chiu à New York quelques semaines plus tard, il est indécis. Mais, au retour, excité d’avoir dit oui. « Melissa m’a dit un jour qu’elle m’avait trouvé brave de prendre une telle décision, dit-il. Quitter le MBAM a été très difficile, car c’est un musée que j’aime. »

Mais il avait besoin de changer d’air et de se replonger dans la vie américaine découverte dans sa jeunesse. « J’ai aimé retrouver mes aises dans cette société complexe, y réussir et préparer le premier catalogue de la collection du Hirshhorn, un document de près de 500 pages. »

Stéphane Aquin a adoré travailler avec la collection « phénoménale » du Hirshhorn. « J’ai fait un accrochage en consacrant une salle à 34 Giacometti et à 66 Willem de Kooning ! Et encore, je n’ai pas tout mis ! C’était un privilège d’avoir ces œuvres à portée de la main et de les faire se côtoyer. »

Il est aussi fier d’avoir rebâti une équipe de conservateurs après des années de crise au Hirshhorn et d’avoir établi un programme d’expositions et de discussions avec le public. Avant de quitter Washington, il a acheté pour le Hirshhorn Still Life with Spirit and Xitle, de l’artiste Jimmie Durham. Une énorme roche volcanique écrasée sur une Chrysler. Le C. A. du musée lui a dédié cet achat, en le remerciement de ses services. « Un très beau geste, même s’il est standard chez les Américains », dit-il.

> Consultez le site du Hirshhorn (pour voir Still Life with Spirit and Xitle) (en anglais)

Le plan du rénovateur

Depuis son retour en novembre dernier au MBAM, Stéphane Aquin (nouveau directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal) a coordonné le renouvellement des équipes. Provenant du Musée d’art contemporain, Yves Théoret est devenu directeur général adjoint, responsable de l’administration. Ex-directrice de gestion de projets à Moment Factory, Natalia Bojovic a remplacé Sandra Gagné, partie l’an dernier, à la direction de la production des expositions. La commissaire Eunice Bélidor vient d’être nommée conservatrice de l’art québécois et canadien contemporain (1945 à aujourd’hui) en remplacement de Sylvie Lacerte, choisie par un musée canadien pour diriger un projet d’exposition internationale.

  • Eunice Bélidor, nouvelle conservatrice de l’art québécois et canadien contemporain (1945 à aujourd’hui)

    PHOTO CHARLÈNE DAGUIN, FOURNIE PAR LE MBAM

    Eunice Bélidor, nouvelle conservatrice de l’art québécois et canadien contemporain (1945 à aujourd’hui)

  • Natalia Bojovic, nouvelle cheffe de la production des expositions au MBAM

    PHOTO JEAN-FRANÇOIS BRIÈRE, FOURNIE PAR LE MBAM

    Natalia Bojovic, nouvelle cheffe de la production des expositions au MBAM

  • Yves Théoret, nouveau directeur général adjoint, responsable de l’administration

    PHOTO FOURNIE PAR LE MBAM

    Yves Théoret, nouveau directeur général adjoint, responsable de l’administration

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Stéphane Aquin veut poursuivre le positionnement du musée dans la diversité, avec un autre regard posé sur les minorités. « Mes cinq, six années à Washington ont été des années d’immersion au cœur des enjeux qui touchent les musées nord-américains, dit-il. La diversité, l’inclusion, l’ouverture, la colonisation et la décolonisation. On réfléchissait sur l’impact de notre programmation sur la société. Surtout durant l’époque Trump ! Et en étant établi sur le National Mall, au milieu de tous les projecteurs. »

MBAM trop français ?

Il veut que le MBAM travaille plus avec nos voisins du Sud.

Montréal est une grande métropole nord-américaine. Je crois que le musée doit reprendre sa juste place sur l’échiquier nord-américain.

Stéphane Aquin, nouveau directeur général du MBAM

Dans d’autres médias, il a récemment déclaré que les relations du MBAM avec les musées français étaient « trop fortes », ajoutant dans The Art Newspaper : « Nous ne sommes pas une banlieue de Paris ! »

Pourtant, quand on considère les 33 expositions du MBAM ayant requis des collaborations avec des partenaires étrangers au cours des « années Bondil », seulement 9 ont été organisées avec des musées français et 20 avec des musées américains. « C’est peut-être une question de perception, concède Stéphane Aquin. Mais ce serait nier les faits que de dire que le musée n’a pas été dans une relation particulière avec Paris. »

Des rôles bien définis

La conservatrice en chef Mary-Dailey Desmarais a désormais la pleine responsabilité de la programmation du musée. Stéphane Aquin dit avoir choisi des pouvoirs séparés entre direction et conservation, pour instaurer « un véritable dialogue sur le contenu ».

À propos de cette femme dont la nomination a fait couler beaucoup d’encre l’an dernier, il précise : « Mary-Dailey est extraordinairement compétente, respectée par tous au musée, car elle est dévouée, sérieuse, intègre et travaille fort. J’ai voulu restaurer ce poste de conservateur en chef qui existait avant et qui a été aboli sous Nathalie [Bondil]. Il y a des avantages administratifs à l’avoir, car c’est énormément de boulot [de faire les deux]. »

Quel rôle reste donc à Stéphane Aquin depuis qu’Yves Théoret a été nommé ? « Mon travail est de faire en sorte que les rouages du musée fonctionnent, en concertation, dit-il. Je dois mettre de l’huile, vérifier les rouages et les changer au besoin ! C’est le modèle américain où le directeur de musée n’est pas une star, mais fait rouler l’institution sans décider de tout. Il fallait rétablir un fonctionnement au musée. Nathalie, son truc, ce n’était pas l’administration. C’est une femme de pensée, d’idées, d’objets d’art. »

La crise de 2020

L’objet de l’entrevue avec Stéphane Aquin (nouveau directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal) n’était pas de revenir en détail sur la crise de l’été dernier quand, à la surprise générale, Nathalie Bondil a été congédiée. Un congédiement qu’elle conteste devant les tribunaux, exigeant 2 millions de dollars de dédommagement. Mais Stéphane Aquin dit que la crise – dans laquelle il n’a pas été impliqué – l’a peiné. Quand il a accepté le poste au Hirshhorn, il a hésité, car il disait avoir « une très bonne relation » avec Mme Bondil, « une très grande amie ».

On n’a pas été en relation depuis longtemps, mais elle a eu la gentillesse de m’écrire quand j’ai été nommé.

Stéphane Aquin, à propos de Nathalie Bondil

« [La crise] m’a beaucoup peiné. De voir l’image et la réputation du musée malmenées. Mais le public, qui aime son musée, est de retour », ajoute-t-il

Avec humilité et lucidité, Stéphane Aquin réalise que le musée a connu de grands succès nationaux et internationaux sous l’ère Bondil et que le défi de poursuivre sur cette lancée est énorme. Le musée a acquis, ces dernières années, une réputation et une stature inédites.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Stéphane Aquin discute avec l’artiste Caroline Monnet, en cours d’installation de ses œuvres prochainement présentées au musée.

Des choix fort judicieux ont été faits par Nathalie Bondil, comme le développement de l’art-thérapie. « Sur ce plan-là, on est devenus des acteurs de premier plan mondial, dit-il. C’est un héritage extraordinaire de Nathalie. Il faut absolument le conserver. »

Stimulé et dévoué

Stéphane Aquin est très stimulé par ses nouvelles fonctions. « J’aime ce musée, dit-il. C’est un privilège de m’en occuper. Je suis heureux d’avoir des gens compétents autour de moi […]. J’ai profité énormément de travailler auprès de M. Théberge, M. Cogeval, Nathalie Bondil et Melissa Chiu au Hirshhorn. Ça a éclairé ma façon d’agir. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le nouveau directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal, Stéphane Aquin, est prêt à relever les défis qui se présentent à lui.

À 61 ans, pense-t-il à la retraite ? « Je suis là pour faire passer le musée à la prochaine génération. Mon mandat est un passage de témoin. Le musée des beaux-arts est une invention du XIXe. Il faut accélérer le passage vers le XXIe siècle et laisser une autre génération s’en occuper. Je vois mon rôle comme un facilitateur de transition. Mais je n’entends pas rester ici au-delà de ma période de grâce ! »