C’est l’histoire d’une œuvre d’art public menacée, d’un conseil municipal qui ne la reconnaissait pas à sa juste valeur et d’un groupe de citoyens qui s’est mobilisé pour la préserver. Une histoire patrimoniale malheureusement banale ces jours-ci, un peu partout au Québec, qui cette fois-ci se termine bien.

La Ville de Granby avait convenu de sauvegarder une œuvre murale de l’artiste Alfred Pellan, qui orne l’ancienne école irlandaise Saint-Patrick, où sera bientôt construit le nouvel édifice de la MRC de la Haute-Yamaska. Or, il y a quelques semaines, devant les coûts estimés du prélèvement de l’œuvre — de l’ordre de 56 095 $, selon les experts —, le conseil municipal a décidé, sans préavis ni davantage de consultations auprès des citoyens, de la mettre aux enchères.

La mosaïque en céramique de six mètres carrés n’ayant pas trouvé preneur à la mi-mars, la Ville de Granby a laissé entendre que l’œuvre pourrait être détruite dans quelques semaines, comme l’édifice qui l’abrite…

PHOTO CHANTAL LEFEBVRE, FOURNIE PAR LA SOCIÉTÉ D’HISTOIRE DE LA HAUTE-YAMASKA, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le saint Patrick d’Alfred Pellan orne l’ancienne école irlandaise du même nom.

Abasourdis et choqués par ces décisions précipitées, les membres du comité Ma ville, mon patrimoine — une poignée de retraités septuagénaires passionnés d’histoire et de culture — se sont mobilisés et ont réussi à sensibiliser leurs concitoyens par l’intermédiaire des réseaux sociaux et des médias locaux.

« Pour quelques dizaines de milliers de dollars, on était prêt à mettre la murale aux poubelles, se désole Placide Rodrigue, membre bénévole du comité. C’est méconnaître l’art et Pellan, un artiste de réputation internationale qui, comme Riopelle et Borduas, a permis de démocratiser l’art. Cette œuvre, elle nous appartient à tous ! »

Il s’explique mal comment la Ville de Granby a pu envisager la vente puis la destruction de cette œuvre d’art public, alors qu’il est du rôle de l’administration municipale de protéger le patrimoine culturel.

PHOTO ALAIN DION, ARCHIVES LA VOIX DE L’EST

L’historien Richard Racine, François Brosseau, l’artiste peintre Renée Durocher, Placide Rodrigue et Daniel Beauregard se sont mobilisés pour protéger l’œuvre murale d’Alfred Pellan.

Placide Rodrigue rappelle qu’il était peu banal au Québec, en 1958, de commander à un artiste de la trempe d’Alfred Pellan une œuvre pour un édifice public.

Deux murales de Pellan ornent des bâtiments de Granby, ville à laquelle l’artiste québécois, formé aux Beaux-Arts à Paris, n’est pourtant pas lié.

Aux frais de prélèvement de l’œuvre s’ajoutent quelques dizaines de milliers de dollars (entre 50 000 et 65 000 $, selon le Centre de conservation du Québec) nécessaires à sa restauration. C’était trop, semble-t-il, pour une majorité de conseillers municipaux. Quelque 16 millions du budget de presque 110 millions de la Ville de Granby sont pourtant alloués aux loisirs et à la culture. C’est sans compter l’enveloppe de 5 millions consacrés à l’aménagement, à l’urbanisme et au développement.

Le maire de Granby, Pascal Bonin, a depuis fait amende honorable et reconnu qu’il avait sous-estimé la valeur accordée à l’œuvre par ses concitoyens. « J’ai rarement vu une œuvre aussi anonyme devenir aussi populaire que ça ! », a-t-il déclaré à La Presse Canadienne. « Avant la série d’articles sur l’œuvre de Pellan, si j’avais visité 100 maisons, je ne suis pas sûr que j’en aurais eu cinq où on aurait pu me dire où elle était et ce que c’était. »

Après l’échec de la mise aux enchères du saint Patrick de Pellan, Hydro-Québec a exprimé son désir d’acquérir la mosaïque pour l’intégrer à un monument à la mémoire des victimes irlandaises du typhus à Montréal, en 1847, près du pont Victoria. Mais la semaine dernière, le conseil municipal a promis que l’œuvre demeurerait à Granby. Une subvention de 50 000 $ du ministère de la Culture semble avoir été l’élément clé pour dénouer l’impasse.

« Je ne me fais pas trop d’illusions. Je ne suis pas convaincu qu’on serait parvenus au même résultat seulement avec l’intervention du comité, de la Société d’histoire et des citoyens. »

Mais j’ose espérer qu’on a raison de persévérer. On voulait d’abord sauver l’œuvre, ensuite qu’elle reste à Granby. Il reste à trouver le lieu pour la mettre en lumière.

Placide Rodrigue, membre bénévole du comité Ma ville, mon patrimoine

Placide Rodrigue, un retraité du milieu de la santé qui fait du bénévolat auprès d’organismes culturels depuis 40 ans — il n’est pas sur la marquise, dit-il, mais « à côté, sur le terrain » — souhaite que la mosaïque d’Alfred Pellan demeure accessible à tous. Il espère aussi que Ma ville, mon patrimoine, un comité mis sur pied il y a cinq ans afin de mettre en valeur le patrimoine bâti et culturel de la ville, sera consulté. Ses membres ont non seulement de l’expérience, mais aussi une expertise dans le milieu culturel.

Je lui dis que les membres de son comité et lui sont les gardiens du patrimoine de sa ville. « Je ne dirais pas que nous en sommes les gardiens, mais nous sommes soucieux de la préservation de notre patrimoine », dit ce natif de Saint-Méthode en Beauce, qui habite Granby depuis 55 ans.

Le saint Patrick de Pellan est sauvé. Il restera à Granby. C’est l’histoire, qui se répète inlassablement, de la méconnaissance de l’histoire de l’art par nos élus. L’histoire de la mobilisation citoyenne de bénévoles dévoués, qui tiennent à notre culture. Une histoire qui, heureusement, a une belle fin.