« Terra Nova fait référence à la question de savoir où l’on s’en va. Que ce soit comme individu ou comme société, quel est notre avenir ? », dit Rhéal Olivier Lanthier. « Une question évidemment très actuelle », ajoute François St-Jacques.
Les fondateurs d’Art Mûr ont choisi, pour illustrer cette interrogation et ses incertitudes, de déployer sur trois étages quelque 120 œuvres de 42 artistes pour lesquels l’inconnu est une aventure et un défi.
Mis à part quelques créateurs invités, la plupart des artistes sont représentés par la galerie. Notamment ses artistes engagés, très allumés par des enjeux sociaux, tels que Nadia Myre, Eddy Firmin, Karine Payette, Simon Bilodeau ou encore Karine Giboulo qui présente de nouveaux petits personnages reliés à la pandémie. Avec leurs masques en file d’attente ou travaillant à la chaîne dans un entrepôt d’Amazon.
Au rez-de-chaussée, l’expo débute par des artistes au propos féministe. De petites sculptures de Colleen Wolstenholme, des personnages féminins qui se fondent dans le décor. Des peintures au pochoir de la Berlinoise Dana Widawski, dont une femme au regard déterminé, en short et soutien-gorge, armée de deux perceuses électriques ! Et, de la même artiste, des assiettes émaillées qui représentent des femmes en burqa dévoilant leurs jambes. Des céramiques magnifiques et provocantes sur un statut de la femme en transition.
Juste à côté, la brouette et les pelles de Cal Lane, féminisées avec leurs dentelles d’acier. Et une installation, Rose, de Jannick Deslauriers, un peu inquiétante, le propos de l’artiste semblant plus social qu’il ne l’était avec ses œuvres précédentes, vaporeuses et architecturales.
Au deuxième étage, on ne peut manquer Whale Fall, sculpture de Nicholas Crombach et Nurielle Stern. L’œuvre posée au sol – qui figure un squelette de baleine – est constituée de morceaux de meubles et d’assiettes, le tout éclairé par des néons jouant le rôle de colonne vertébrale.
Tout près, plusieurs œuvres évoquent aussi le milieu marin. Par exemple, la vidéo Maumusson de Patrick Beaulieu, sur les rythmes naturels et les tentatives humaines, souvent vaines, de les dompter.
On appréciera aussi la finesse des faux coraux de l’ingénieux Laurent Lamarche, les toiles polaires de Jessica Houston ou encore le « dragon de rivière » d’Emily Jan, un poisson amazonien inquiétant fait de textiles variés.
Un espace est consacré à une petite rétrospective du travail de Guillaume Lachapelle, toujours plus créatif et avant-gardiste, et dont certaines sculptures – des espaces infinis de bureaux vides ou une bibliothèque désertée – font penser à la période que l’on endure actuellement.
Une autre section est consacrée aux nouvelles technologies, à la surveillance et à l’internet avec des créations de Sonny Assu, Oli Sorenson, Eddy Firmin, Renato Garza Cervera et encore Laurent Lamarche, avec une installation délicate et colorée, Diffraction dichroïque.
Nous avons bien aimé le travail d’Hédy Gobaa, pour lequel Terra Nova ne peut mieux convenir puisqu’il est né outre-Atlantique et a migré vers Montréal. Au rez-de-chaussée, ses deux tableaux sur les préjugés et l’imaginaire (Sans titre, 2020) sont évocateurs. Au dernier étage, on a eu un coup de cœur pour sa toile empreinte de sérénité Une nuit étoilée, de 2019, la photo d’entête de ce texte.
Tout près de son huile est diffusée une vidéo d’animation du dessinateur néerlandais Robbie Cornelissen, toujours très en vogue sur la scène internationale. Elle vaut le détour, pour la qualité du travail notamment. Tout comme les fascinantes maquettes théâtrales d’Erika Dueck, dont Reiterate. Quel talent pour meubler un intérieur dévasté avec tant de précision, des éléments que l’on discerne en mettant littéralement l’œil à la porte !
Parallèlement à Terra Nova, Art Mûr propose, jusqu’au 27 mars, une expérience de réalité virtuelle avec une œuvre de l’artiste Samuel Arsenault-Brassard, qui succède depuis quelques jours à celle d’un peintre, muraliste et passionné de réalité virtuelle et augmentée, Sebastian Millar, dont nous avons aussi beaucoup apprécié les créations.
« On a décidé de présenter cette année une programmation de réalité virtuelle, dit Rhéal Olivier Lanthier. Avec une nouvelle œuvre toutes les trois ou quatre semaines. »
Comme la photographie s’est imposée à un moment donné comme un art à part entière, la réalité virtuelle est devenue un médium incontournable, alors la galerie a beau avoir 25 ans, on n’est pas des vieux ! On doit demeurer attentifs !
Rhéal Olivier Lanthier, cofondateur de la galerie Art Mûr
D’ailleurs, le sculpteur Jean-Robert Drouillard s’est aussi mis au goût du jour, en cette ère numérique. Il a modifié sa pièce sculptée en bois de tilleul Jeune poète aux bidons, de 2013, en enlevant un des deux bidons, en repeignant la tuque en orange – couleur tendance – et en plaçant un casque de réalité virtuelle sur les yeux de ce poète qui avait 17 ans en 2013… et a donc l’âge d’Art Mûr cette année !
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