Avec Carne y arena, le cinéaste Alejandro González Iñárritu nous plonge dans une expérience de réalité virtuelle immersive destinée à nous faire vivre le sort de migrants du Mexique et d’Amérique centrale à la frontière américaine. Bienvenue dans une installation conceptuelle se conjuguant à l’humiliation, à la terreur, à la souffrance et à la mort.

D’abord présentée au Festival de Cannes en 2017, Carne y arena utilise les outils de la réalité virtuelle pour nous faire ressentir au plus profond de notre être ce que peuvent vivre des migrants essayant d’entrer aux États-Unis.

Soumission au froid. Sons amplifiés d’hélicoptère en chasse. Sol granuleux et rugueux sous les pieds. Images terrifiantes de migrants accueillis à la pointe de fusil d’assaut par des soldats américains. Ordres hurlés dans un mélange d’anglais et d’espagnol.

Tout est ici utilisé pour recréer le plus fidèlement possible ce que des centaines de milliers, voire des millions de migrants ont vécu au cours des dernières années dans leur quête d’un avenir meilleur pour leurs enfants et eux.

Grâce à l’initiative du Centre Phi, dans le Vieux-Montréal, cette exposition-évènement, d’abord présentée au Festival de Cannes en 2017, a été optimisée pour une tournée mondiale. Après un premier arrêt à Denver il y a quelques mois, elle est maintenant présentée sur une surface de 745 m2 à l’intérieur des murs d’Arsenal, centre d’art contemporain de Montréal.

Et pour la vivre de façon plus intense, chaque visiteur sera seul dans deux des trois pièces où elle est disposée. La Presse en a fait la visite mardi.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

À l’entrée de l’exposition Carne y arena, d’Alejandro González Iñárritu

Première pièce : attendre en silence

Rectangulaire, émaillée de portes et de panneaux en trois langues dans une symétrie parfaite, peinte d’un blanc immaculé : cette première pièce constitue l’antichambre de l’exposition. Par terre, de réelles paires de chaussures de migrants retrouvées dans le désert.

À quoi donc ressemble cette alcôve ? À une salle d’embaumement ? À un local d’autopsie ? Au réfrigérateur d’une boucherie ? À la chambre blanche de l’astronaute David Bowman dans 2001, l’Odyssée de l’espace, de Kubrick ?

Peu importe la réponse, il y a quelque chose de terriblement humiliant à se trouver dans cette pièce froide et humide.

Le visiteur est invité à se déchausser, à mettre ses souliers et ses bas dans une lucarne pour récupération ultérieure et à… attendre. Un signal rouge nous indique par quelle porte entrer dans la deuxième pièce.

Il faut attendre. Dans ce froid. On est mal. On enserre sa poitrine de ses bras, réflexe naturel de protection. Le temps passe. Lentement. On en vient à se demander si on nous a oublié. On se demande si on ne devrait pas rebrousser chemin. Et si toutes les portes étaient barrées ?

Enfin, le signal s’enclenche.

PHOTO EMMANUEL LUBEZKI, FOURNIE PAR LE CENTRE PHI

Une immersion dans la deuxième pièce de Carne y arena

Deuxième pièce : le désert

La deuxième pièce recrée le désert. Un employé de l’exposition nous aide à enfiler un sac à dos usé à la corde (comme ceux des migrants). On met un casque d’écoute et un appareil de réalité virtuelle.

Nous voilà plongé en zone désertique à la frontière mexico-américaine. Nous sommes un peu avant l’aube. Des sacs de plastique virevoltent dans l’air, s’accrochent aux branches de cactus. Des oiseaux noirs traversent le ciel.

Et soudain, les voilà. Ils émergent de l’horizon flou et se dirigent vers nous. Ils sont sales, fatigués, assoiffés. Hommes, femmes et enfants à l’allure de zombie. Ils marchent vers nous. Ils marchent à travers nous, dévoilant au passage leur cœur battant.

Ils marchent néanmoins avec espoir. Ils sont à deux pas de la liberté. C’est ce qu’ils croient…

Jusqu’à ce que le bruit assourdissant et belliqueux des hélicoptères des gardes-frontières martèle nos tympans et que les projecteurs nous aveuglent.

Aussi soudainement, nous sommes, eux et nous, entourés de soldats armés jusqu’aux dents. Ils crient. Ils fouillent. Ils ordonnent de nous mettre à genoux. Le jour, enfin, se lève. Et tout le monde a disparu. Dans le ciel, la volée d’oiseaux noirs repasse.

Les cinéphiles qui ont vu Babel, d’Iñarritu, reconnaîtront ici l’essence de l’une des scènes de ce film multirécompensé, sorti en 2006 au Festival de Cannes.

Troisième pièce : l’histoire

La troisième pièce est en fait un corridor aux murs drapés de rideaux noirs et percés de fenêtres-écrans montrant une dizaine de migrants interviewés pour le montage de cette installation, qui font face aux spectateurs. Alors que la caméra filme leur visage, leur histoire défile à l’écran.

Un constat : ce n’est pas parce qu’ils arrivent à la frontière entre le Mexique et les États-Unis que leur cauchemar commence — il s’est en fait amorcé dès qu’ils se furent mis en route vers le nord. D’où qu’ils soient partis, du Honduras, du Guatemala ou d’ailleurs, la route a été longue et semée de dangers. Ils ont déboursé des milliers de dollars pour payer des « coyotes » (passeurs) pour les aider à se rendre à destination. Au Mexique, certains ont été volés et violentés par des policiers.

Il n’est jamais question de mur. Ni de Trump. La présentation est complètement dépolitisée. Et se termine sur une note d’espoir. À chacun son histoire de survivance.

Carne y arena

• Présentée par le Centre Phi, à l’Arsenal, 2020, rue William, à Montréal
• Du 17 mars au 20 juin
• Prix : entre 35 $ et 50 $, selon le jour et l’heure
• Achat de billets en ligne seulement sur le site du Centre Phi