Une cantatrice se déplace lentement sur le glacier Farnham, en Colombie-Britannique. Elle chante en latin, une partition dans les mains. Attachée à une corde au cas où elle croiserait une zone fondue et tomberait dans une crevasse. L’image est forte et symbolique. Nous sommes en équilibre et pourrions bien chuter.
Requiem pour un glacier est à la fois une vidéo de 40 minutes et une œuvre de musique classique du compositeur britanno-colombien Paul Walde. Elle résonne dans la grande salle obscure du musée et imprègne tous les pores de la peau. L’oratorio en quatre mouvements, interprété par 50 musiciens, est magnifique, lancinant. Comme s’il accompagnait le glacier – qui fond à vue d’œil – vers son trépas.
Une œuvre émouvante, une prise de position claire et, aussi, la contestation, en 2013, d’un projet de station de ski, le Jumbo Glacier Resort, sur des terres sacrées autochtones et un habitat de 600 ours grizzly. Le compositeur avait d’ailleurs choisi comme livret du requiem le communiqué de presse du gouvernement de Victoria qui annonçait le projet, texte qu’il avait traduit en latin ! Ce projet touristique controversé a été finalement abandonné l’an dernier, après des batailles, notamment judiciaires, qui ont duré 30 ans. Il s’est transformé en une protection du territoire gérée par la nation Ktunaxa.
Ce film est la pièce maîtresse d’Écologies, Paul Walde transmettant depuis sept ans le message qu’il est temps que les nations accélèrent le pas si l’on veut, à temps, remporter la bataille contre la pollution et le réchauffement de la planète.
Toutes les œuvres d’Écologies appartiennent à la collection du musée au sein de laquelle la commissaire Iris Amizlev a puisé. Certaines n’ont que rarement ou jamais été vues, comme ce petit arbre en ivoire créé vers 1900 par un artiste inuit anonyme, d’une modernité époustouflante et remis en état par Richard Gagnier, précieux chef de la restauration au musée.
La sculpture inuite se trouve dans un espace consacré à la végétation près de « l’arbre » de Giuseppe Penone, petite merveille d’arte povera en bronze intitulée Sentier et qui symbolise l’interdépendance de l’humain et de son environnement.
À côté, la belle composition panoramique de la photographe Lorraine Gilbert rend hommage à la nature, tout comme le Tilleul synthétique, de Martin Hinert (1990), également restauré avec soin. Ou encore la peinture L’approche de l’orage, de Kent Monkman, qu’on ne se lasse jamais de revoir. Grâce au don précieux du collectionneur ontarien Bruce C. Bailey, grand ami et mécène du MBAM.
Nouvelle acquisition fort intéressante aussi, la vidéo Miroirs du cosmos, de Marie-Jeanne Musiol, qui nous fait pénétrer au tréfonds des plantes. L’artiste explore leur énergie et magnétisme avec la photographie électromagnétique. Une œuvre touchante sur les mystères de la vie végétale.
Les plantes nous enseignent à entendre la symphonie, et nous avons besoin de chacune d’entre elles.
Marie-Jeanne Musiol
Les dangers de changer la nature des plantes ont été à la base de la démarche de Julie Moos quand elle a résidé au Missouri en 2001. Iris Amizlev a fait accrocher sa photographie Ken et Anita, deux agriculteurs qui travaillent avec l’entreprise Monsanto et qui posent devant une variété de maïs d’une hauteur surdimensionnée.
Belle image aussi de l’Américaine Justine Kurland. Le serpent pâle, vision particulière de l’Éden, Ève tenant dans une main le fruit défendu… Toutefois, ce n’est pas une pomme, mais une amanite phalloïde ! Pas d’humains, pas de dévastation, semble soupirer la photographie dont l’atmosphère est pourtant bucolique.
Sur ce parcours enrichissant, il ne faut pas manquer Sables rouges, série de photographies métaphoriques de Jocelyne Alloucherie sur l’empreinte de l’homme sur la nature, présentée dans la salle Louise et Bernard Lamarre. Sinon, Arctic Power, la motoneige nocive de BGL qui lessive les cultures du Nord. Ou encore Irrémédiablement perdus, installation impressionnante de l’artiste siksika Adrian Stimson avec son bison naturalisé grandeur nature. Sur la résilience autochtone et la diversité biologique.
On a bien aimé également la peluche dans un bocal, Animal conservé – unique en son genre, de l’artiste conceptuel canadien Iain Baxter&, qui a joint l’esperluette à son nom pour mieux se connecter au vivant. Sa création présume que bien des animaux pourraient, un jour, devenir des spécimens gardés dans du formol et exposés dans des musées d’histoire naturelle…
Voici donc une exposition très originale sur le thème de l’écologie et des défis environnementaux. Délicate, sans matraquage grossier, elle mêle des œuvres qui parlent d’elles-mêmes quant à l’urgence climatique et d’autres qui font mouche en nous racontant tout simplement la vie sur Terre, sa beauté, sa diversité et, a priori, son unicité. Une expo où les œuvres semblent susurrer : « vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous avait pas prévenus… »
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