Une ville mordue de vélo, passionnée de cuisine et de café, où le jardinage gagne sans cesse en popularité et qui est attachée à ses artistes… Montréal semble avoir un petit côté italien, sans doute attribuable à ses 280 000 habitants d’origine italienne. C’est la contribution de cette communauté à la métropole que le musée Pointe-à-Callière a voulu souligner avec sa nouvelle exposition Montréal à l’italienne.

Pour célébrer l’héritage de la communauté italienne de Montréal, le musée a réuni 325 objets confiés par 46 prêteurs, dont une quarantaine de familles, qui ont parfois hésité à s’en départir pour la durée de l’exposition, qui se poursuit jusqu’en 2022.

Parmi ces familles, il y a celle du chanteur Marco Calliari, qui a fourni un crucifix rapporté d’Italie il y a quelques années seulement, et une étrange médaille, qui vient de sa grand-mère paternelle. « C’est une médaille que le régime Mussolini distribuait aux parents, explique-t-il. Les fascistes voulaient encourager les naissances et donnaient 3000 lires pour une fille, 5000 lires pour un garçon, et il y avait une prime si le bébé s’appelait Benito, comme le Duce. » Une boucle argentée était ajoutée au ruban de la médaille pour chaque nouveau-né.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Comme une quarantaine d’autres, la famille du chanteur montréalais d’origine italienne Marco Calliari a prêté des objets présentés dans l’exposition, donc ce crucifix rapporté d’Italie il y a quelques années à peine.

L’exposition Montréal à l’italienne tient dans une seule salle, divisée en cinq zones, et raconte l’arrivée en ville des premiers Italiens dès la fin du XIXe siècle, l’évolution de la communauté jusqu’au parcours d’Italo-Montréalais qui ont rayonné ici et ailleurs, dont le baryton Gino Quilico (qui a prêté son prix Grammy), le peintre Guido Molinari, l’actrice Marina Orsini, l’animatrice Josée di Stasio, l’ex-politicienne Liza Frulla, le journaliste Pierre Foglia ou l’auteur-compositeur-interprète Gino Vannelli…

Une longue histoire

« La plupart des immigrants italiens sont arrivés au pays entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la fin des années 1960, souvent à bord du Saturnia, rappelle le chargé de projet Samuel Moreau. Beaucoup étaient des travailleurs saisonniers, dans la construction notamment, qui se sont finalement installés à Montréal, puis ont fait venir leur famille. »

Quelques patronymes italiens ont fait leur entrée dans l’imaginaire collectif québécois au XXe siècle : Gattuso, Catelli, Saputo. On peut d’ailleurs voir à l’entrée de l’exposition quelques objets anciens associés à ces marques toujours présentes. Tout comme des souvenirs ramenés d’Italie par les immigrants, dont d’immenses clés de fer de demeures abandonnées sur le Vieux Continent. Et des instruments de travail…

Plus loin, l’exposition souligne la riche contribution des sculpteurs italiens au patrimoine religieux québécois. « Dans les années 1950, Montréal comptait plus de 10 ateliers de sculpture tenus par des Italiens, raconte Anne Élisabeth Thibault, directrice générale de Pointe-à-Callière. Leur technique de sculpture au plâtre donnait des résultats incroyables et elle a pris le dessus sur la sculpture sur bois qui se pratiquait ici. » Le Studio Nincheri, dont des pièces sont exposées, a décoré des dizaines d’églises au Québec, ce qui a valu à son fondateur, Guido Nincheri, le surnom de « Michel-Ange de Montréal ».

Un patrimoine vivant

  • Guido Nincheri, surnommé le « Michel-Ange de Montréal », a contribué à la décoration de dizaines d’églises au Québec. Les trois pièces au centre de cette photo ont été produites par son studio.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Guido Nincheri, surnommé le « Michel-Ange de Montréal », a contribué à la décoration de dizaines d’églises au Québec. Les trois pièces au centre de cette photo ont été produites par son studio.

  • Cette cuisinière Moffat date de 1957… et sert encore tous les ans à la préparation de conserves de tomates. Une famille a accepté de la prêter au musée Pointe-à-Callière jusqu’en janvier 2022.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Cette cuisinière Moffat date de 1957… et sert encore tous les ans à la préparation de conserves de tomates. Une famille a accepté de la prêter au musée Pointe-à-Callière jusqu’en janvier 2022.

  • Ce tableau présente les noms des quelque 200 Montréalais d’origine italienne qui ont été internés pendant la Seconde Guerre mondiale parce que le gouvernement canadien considérait qu’ils étaient une menace à la sécurité du pays.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Ce tableau présente les noms des quelque 200 Montréalais d’origine italienne qui ont été internés pendant la Seconde Guerre mondiale parce que le gouvernement canadien considérait qu’ils étaient une menace à la sécurité du pays.

  • Cette médaille était remise aux parents à l’époque du régime fasciste de Benito Mussolini, pour encourager les naissances. Chaque boucle représente un nouveau-né.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Cette médaille était remise aux parents à l’époque du régime fasciste de Benito Mussolini, pour encourager les naissances. Chaque boucle représente un nouveau-né.

  • La machine à coudre d’Angelina di Bello, qui donnait des cours à la télévision en italien, en anglais et en français.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    La machine à coudre d’Angelina di Bello, qui donnait des cours à la télévision en italien, en anglais et en français.

  • Les fanfares ont fait leur apparition au Québec par l’entremise des Italiens et de leurs processions religieuses.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Les fanfares ont fait leur apparition au Québec par l’entremise des Italiens et de leurs processions religieuses.

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Une grande partie des objets montrés, même s’ils sont chargés d’histoire, ne peuvent être qualifiés d’antiquités. « Ils servent encore aujourd’hui », souligne Anne Élisabeth Thibault, en parlant notamment d’une vieille cuisinière Moffat de 1957, brillante comme un sou neuf, que la propriétaire utilise chaque année pour ses conserves de tomates. L’exposition s’attarde d’ailleurs à la transmission de la culture italienne aux nouvelles générations, notamment par la cuisine.

À partir de 1970, il y a très peu de nouveaux immigrants. Or, le nombre d’Italo-Montréalais est passé depuis de 100 000 à 280 000. L’appartenance à cette culture est fort bien transmise.

Samuel Moreau, chargé de projet de l’exposition

Et la culture italienne se répand aussi hors de la communauté. On pense bien sûr à la pizza ou à la sauce tomate. Mais aussi aux fanfares, qui ont fait leur apparition au Québec par l’entremise des Italiens et de leurs processions. Ou aux cafés.

Les cafés, lieux de rencontre par excellence, ont d’ailleurs droit à leur espace, où est également mis en évidence l’amour des Italiens pour le soccer (le CF Montréal appartient à la famille Saputo) et le vélo. Parce que ce sont aussi des endroits de choix pour les débats animés, c’est ici que le musée a choisi de rappeler les moments les plus difficiles de l’histoire italienne de Montréal : le différend sur la langue d’enseignement à l’époque de l’adoption de la loi 101 (la plupart des Italiens préféraient envoyer leurs enfants à l’école anglaise), par exemple, mais surtout l’internement d’environ 200 Italo-Montréalais, considérés comme une menace à la sécurité du pays, pendant la Seconde Guerre mondiale. Un tableau présente leurs noms.

Dans la foulée de cette guerre, les Italiens ont longtemps formé le deuxième groupe minoritaire à Montréal, tout juste derrière les citoyens d’origine britannique. Pas étonnant, donc, que leur présence ait contribué à façonner la ville, estime l’historien Bruno Ramirez, lui-même venu d’Italie pour s’installer ici en 1978. « Il y a eu de nombreux échanges entre les cultures italienne et québécoise, dit-il. On voit des traces de cette italianité dans la cuisine, mais aussi dans l’architecture, par exemple. » Montréal, ville italienne ? C’est donc en partie vrai.

Montréal à l’italienne, à Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal, jusqu’au 9 janvier 2022

> Consultez le site de Pointe-à-Callière