Septième solo de Françoise Sullivan à la Galerie de l’UQAM. L’artiste y expose des œuvres à 80 % inédites datant des années 1970. Un riche déploiement conçu, préparé et scénographié par la commissaire Louise Déry, historienne de l’art, directrice de la galerie et fidèle amie de Mme Sullivan.

Elle est la grande dame des arts visuels québécois. Pandémie ou pas, Françoise Sullivan poursuit son épopée esthétique entreprise il y a... 88 ans, quand elle avait décidé qu’elle serait artiste.

Elle fêtera ses 98 ans le 10 juin et continue de créer. Cette expo fait suite à Œuvres d’Italie qu’elle a présentée en Toscane en 2019. Un premier séjour en Italie depuis les années 1970, alors qu’elle y avait vécu avec ses quatre fils et rencontré des artistes de l’arte povera et les révolutionnaires Gianfranco Sanguinetti et Guy Debord.

  • Françoise Sullivan et Gianfranco Sanguinetti à Greve in Chianti en 1972. Archives personnelles de Gianfranco Sanguinetti.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Françoise Sullivan et Gianfranco Sanguinetti à Greve in Chianti en 1972. Archives personnelles de Gianfranco Sanguinetti.

  • Françoise Sullivan et Gianfranco Sanguinetti, au même endroit, 47 ans plus tard, en septembre 2019

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Françoise Sullivan et Gianfranco Sanguinetti, au même endroit, 47 ans plus tard, en septembre 2019

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À son retour, j’ai consulté ses archives, avec son accord. Nos trouvailles ont consolidé toute ma compréhension des années 1970 qui, chez Françoise, sont la période la moins étudiée. Et on a pu retisser le fil rouge de ses années 1970.

Louise Déry

Coup d’œil unique

Françoise Sullivan : Les années 70 éclaire encore une fois ce coup d’œil unique de Françoise Sullivan. On replonge dans son amour de la photographie et de la performance, dans sa façon de filmer la vie, d’examiner le paysage. « Une curiosité qui lui a toujours donné la liberté d’essayer des choses », dit Louise Déry.

Toutes deux ont restauré la suite photographique Tempio di Ercole. Un travail de 12 jours dont le rendu est superbe. La frise décrit une de ses performances à Rome.

  • Tempio di Ercole, 1976, photomontage de 13 épreuves numériques tirées de négatifs originaux, 58,3 cm x 403,3 cm. Conception de la frise et performance : Françoise Sullivan. Montage de la frise : Johane Levesque. Photographies : David Moore.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Tempio di Ercole, 1976, photomontage de 13 épreuves numériques tirées de négatifs originaux, 58,3 cm x 403,3 cm. Conception de la frise et performance : Françoise Sullivan. Montage de la frise : Johane Levesque. Photographies : David Moore.

  • Tempio di Ercole, 1976. Détail.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Tempio di Ercole, 1976. Détail.

  • Françoise Sullivan devant des œuvres de la série Portraits de personnes qui se ressemblent.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Françoise Sullivan devant des œuvres de la série Portraits de personnes qui se ressemblent.

  • Maison aux ouvertures bloquées (1977), à gauche, et Cabine téléphonique bloquée (1976-1977), des photomontages de Françoise Sullivan

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Maison aux ouvertures bloquées (1977), à gauche, et Cabine téléphonique bloquée (1976-1977), des photomontages de Françoise Sullivan

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La vidéo Et la couleur revient a aussi été restaurée et numérisée. Un film peut-être tourné par Madeleine Dubuc (ex-journaliste à La Presse), selon Françoise Sullivan. On y voit la peintre essayer des couleurs sur des pages de La Presse papier et sur son bras gauche ! Une œuvre qui parle de censure à l’époque du scandale de Corrid’art (une expo à laquelle elle avait participé en 1976), mais aussi de son retour à la peinture après des années d’art conceptuel, de photos, vidéos et performances.

J’étais troublée par ce qu’il se passait dans le monde de l’art. Des universitaires dénigraient la peinture. Ça me choquait. C’est à ce moment-là que j’ai fait la promenade entre le Musée des beaux-arts et le Musée d’art contemporain, car certains disaient qu’on n’avait même plus besoin de musées !

Françoise Sullivan

Louise Déry et Françoise Sullivan ont aussi déniché une vidéo de 1975 qui montre l’artiste lors d’une promenade à Greve in Chianti, avec ses fils. Un de ses travaux d’Italie durant cette période effervescente des années 1970 dont elle conserve des souvenirs de fraternité, d’échanges d’idées et de grande créativité. « Une belle période que je craignais à l’époque à cause du mouvement anti-œuvres d’art, dit-elle. Les œuvres étaient récupérées par des mouvements comme le féminisme. »

Jamais féministe !

Les années 1970 ont été importantes dans sa carrière. « Elles m’habitent encore, dit-elle. Mais je n’ai jamais été féministe. Je n’en sentais pas le besoin. Je me sentais l’égal des jeunes hommes peintres. » Elle avait quand même photographié des graffitis féministes et tourné une vidéo où on la voit écrire sur le sable le slogan féministe italien « Io sono mia » (« Je suis mienne »). Comme quoi.

  • Des images de graffitis politiques prises par Françoise Sullivan dans les années 1970

    PHOTO FOURNIE PAR LA GALERIE DE L’UQAM

    Des images de graffitis politiques prises par Françoise Sullivan dans les années 1970

  • Tempio di Cibele, 1976, 13 épreuves numériques couleur, 27,3 cm x 25 cm chacune. Photographies de David Moore. Conception, performance et réalisation : Françoise Sullivan.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Tempio di Cibele, 1976, 13 épreuves numériques couleur, 27,3 cm x 25 cm chacune. Photographies de David Moore. Conception, performance et réalisation : Françoise Sullivan.

  • Tempio di Cibele, 1976. Détail.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Tempio di Cibele, 1976. Détail.

  • Portes et fenêtres bloquées, Venise, 1976, 5 épreuves noir et blanc à la gélatine argentique, 24,4 cm x 20,3 cm chacune

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Portes et fenêtres bloquées, Venise, 1976, 5 épreuves noir et blanc à la gélatine argentique, 24,4 cm x 20,3 cm chacune

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« Vous n’êtes pas trop fatiguée ? », demande La Presse alors qu’on entreprend un tour de son exposition. « Je ne suis pas fatiguée du tout », répond-elle en riant. La retraite, la signataire de Refus global, en 1948, ne connaît pas ce mot ! « J’ai maintenant un atelier près de chez moi. J’y vais cinq ou six fois par semaine depuis Noël. J’ai fait cinq grandes toiles et plusieurs de dimension moyenne. »

Elle prévoit bientôt livrer un solo à Simon Blais pour montrer ce qu’elle décrit comme : « nouveau, mais c’est toujours moi ! »

Françoise Sullivan travaille fort, mais est encore peinée par la disparition de son fils Jean-Christophe, en août 2019. « On ne s’en remet pas, dit-elle. La nuit, je pense à lui. »

Vaccinée contre la COVID-19, elle demeure prudente. « Mes fils sont très sévères avec moi ! Je n’ai même pas le droit d’aller à la banque ! Ils me protègent. On m’apporte de la nourriture. J’ai hâte d’avoir la deuxième dose ! »