Avec leur collection évaluée à plus de 30 millions de dollars, Ivanka Trump et Jared Kushner vivent entourés d’œuvres créées par des stars de l’art contemporain aux États-Unis. Or, la collection du richissime couple ne fait pas l’unanimité dans le milieu.

Au lendemain de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les artistes visuels étaient sous le choc. Le président élu n’allait sûrement pas faire de cadeau au milieu culturel, qu’on associe davantage aux démocrates. Toutefois, il se trouvait des gens à la direction des grands musées de la capitale pour les rassurer, car le milieu de l’art contemporain pouvait compter sur une « alliée » très très proche du nouveau président : Ivanka Trump.

La fille adorée de Donald Trump est une « grande amoureuse » de l’art contemporain. Guidée par le conseiller artistique Alex Marshall, elle possède avec son mari, Jared Kushner, une collection d’œuvres de peintres et de sculpteurs vedettes, et tous américains. Leur collection axée sur l’art conceptuel et non figuratif vaudrait entre 30 et 40 millions US.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Ivanka Trump devant une œuvre de Christopher Wool

Parmi les artistes favoris d’Ivanka Trump, on retrouve des créateurs consacrés (Cy Twombly, Christopher Wool et Dan Colen), ainsi que de jeunes vedettes : Alex Israel, Nate Lowman, Wade Guyton et David Ostrowski. Ils sont tous représentés par le même galeriste, la prestigieuse Gagosian Gallery, l’une des plus importantes sur le marché de l’art contemporain, avec ses succursales à New York, Athènes, Londres et Hong Kong, entre autres…

« Jared et moi avons deux règles pour bâtir notre collection, a confié Ivanka Trump au magazine Art News, en décembre 2016. Nous n’achetons pas sans avoir eu tous les deux un coup de cœur pour une œuvre. Ensuite, nous achetons de l’art en compagnie duquel nous avons envie de vivre à la maison ou au bureau. »

Les murs des luxueuses propriétés du couple à New York et à Washington sont ornés des pièces de leur collection. Ivanka avait l’habitude de publier sur son compte Instagram des photos de sa petite famille devant ses toiles et ses sculptures. C’était avant la présidence de son père…

« Enlever mes toiles de vos murs » !

En 2017, Ivanka a posé devant une toile d’Alex Da Corte et publié la photo sur son réseau social. Le jeune peintre lui a répliqué avec le mot-clic « #DearIvanka : enlevez mes toiles de vos murs ! Je suis embarrassé de vous voir poser à côté de mes œuvres. » Depuis cet incident, les photos d’art contemporain semblent avoir disparu du compte Instagram de la conseillère principale à la Maison-Blanche.

Dans la foulée, plusieurs personnes ont repris le mot-clic pour interpeller la fille du président américain. Par exemple, lorsqu’en soutien à la communauté LGBTQ+, Ivanka Trump a mis une photo d’une recette de pizza aux couleurs de l’arc-en-ciel, on lui a rétorqué : « #DearIvanka, ton père bafoue les droits de la communauté à la Maison-Blanche. »

C’est très naïf de croire que si l’on s’intéresse à l’art contemporain, on a nécessairement des valeurs libérales ; ou on est politiquement de gauche. Le couple Trump et Kushner en est la preuve.

Marc Mayer, spécialiste en art contemporain

L’ex-directeur du Musée d’art contemporain de Montréal et du Musée des beaux-arts du Canada, Marc Mayer, qui a travaillé à New York, à Paris et à Toronto, est aujourd’hui retraité dans les Catskills, au nord de New York. Selon lui, pour des gens de leur milieu, de la jeune élite de Park Avenue, c’est très courant d’avoir une collection personnelle. « Ils achètent des œuvres prisées dans le marché et fréquentent les vernissages des artistes branchés. C’est une question de prestige. Et c’est aussi un bon investissement. »

« Acheter avec ses oreilles »

Sans spécifiquement viser les Trump-Kushner, Marc Mayer fait une différence entre les grands collectionneurs très influents sur la planète (les magnats français Bernard Arnault et François Pinault ; le producteur et homme d’affaires Peter Brant, aux États-Unis) et les nouveaux riches amateurs d’art dont c’est un passe-temps. « Ces derniers font monter le prix des œuvres sur le marché, y compris de jeunes artistes, à une vitesse folle… comme à la Bourse, dit-il. Ils sont souvent plus des spéculateurs que des défricheurs d’artistes émergents. Ils achètent de l’art parce que ça fait partie du style de vie, du jet-set mondial. »

« Dans le milieu, on dit de ces gens-là qu’ils achètent avec leurs oreilles, et non leurs yeux, poursuit Marc Mayer. Ils entendent parler d’artistes à la mode, lors des évènements mondains, et ils flairent la bonne affaire avec peu de risques à long terme. »

Ce n’est donc pas un hasard si Ivanka Trump et son mari investissent uniquement dans des artistes de l’écurie Gagosian, comme un amateur de mode n’achète que chez Prada. « Les clients de la Gagosian Gallery mettent leur nom sur des listes d’attente pour acheter. Et si on passe son tour, notre nom se retrouve au bas de la liste », illustre Marc Mayer.

Aux États-Unis, l’intérêt d’Ivanka Trump et de Jared Kushner pour l’art contemporain fait parfois l’objet de critiques acerbes. « Ils utilisent leur collection pour servir leurs intérêts d’affaires, leur entreprise, et ils ne s’en cachent pas. Trump en profite pour faire mousser sa collection de vêtements et d’accessoires », s’insurge l’expert en éthique du groupe Public Citizen, Craig Holman, interviewé par Art News en 2017.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D'IVANKA TRUMP

Une toile de Christopher Wool et le sac Mara d'Ivanka Trump posé devant

Sur Instagram, Ivanka Trump a publié des photos pour exposer sa collection et promouvoir sa marque. Comme ce cliché d’un sac Mara placé sur sa table de salle à manger, avec en arrière-plan une toile de sa collection signée Christopher Wool. Car les couleurs de l’œuvre picturale rappellent les motifs de son sac…

Cette année-là, le couple a aussi été sur la sellette avec le fisc. Kushner avait omis de comptabiliser la collection d’art dans leur déclaration financière, prétextant que leurs œuvres font partie du mobilier. On est loin du mécénat de la Fondation Louis Vuitton.