Adepte d’un art de la forme expressionniste, la peintre, dessinatrice et graveuse montréalaise d’origine suisse Francine Simonin a succombé à un cancer, vendredi à Montréal, à l’âge de 84 ans.

Née à Lausanne, en 1936, Francine Simonin s’installe à Montréal au début des années 70 après avoir séjourné au Québec en 1968 grâce à une bourse du Conseil des arts du Canada. Elle commence à enseigner les arts plastiques à l’Université du Québec à Trois-Rivières, où elle évoluera jusqu’en 1994. Elle fréquente alors les Jean-Paul Riopelle, Serge Lemoyne, Pierre Ayot et autres René Derouin.

Durant sa carrière, elle a présenté plus de 200 expositions solos en Suisse, en France, en Espagne, aux États-Unis et bien sûr au Canada, notamment en 1975 au Musée d’art contemporain de Montréal. Elle avait un grand atelier dans le quartier Sainte-Marie, mais retournait souvent en Suisse et en France, ces allers-retours la nourrissant, elle qui aimait tant voyager.

Son galeriste québécois depuis plus de 30 ans, Louis Lacerte, est très touché par la disparition de sa protégée, complice et amie fidèle. Dans un communiqué, il la décrit comme une artiste engagée et entièrement dévouée à son art.

« Francine Simonin vivait pour son art, écrit-il. Son esprit indépendant et son énergie fulgurante se manifestaient dans son œuvre de façon viscérale. Sa compréhension profonde des techniques d’estampe et de peinture lui ont permis de transcender son art à pleine puissance. Son œuvre est gigantesque. C’est une immense perte pour le milieu des arts visuels. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Œuvre de Francine Simonin exposée à la galerie Lacerte en 2015, à Montréal

Dans les années 80, Francine Simonin s’est consacrée au dessin et à la gravure, mais aussi à d’impressionnantes peintures réalisées entre 1984 et 1989, année où elle a également créé des panneaux scéniques pour le Festival international de musique actuelle de Victoriaville. Les années 90 ont été celles des œuvres sur papier avec ses séries Paroles d’ogres, Corps et graphies et Chroniques concentriques. Puis, c’est le retour à la peinture dans les années 2000, avec les corpus Écritures, Jardin, Free Jazz, Ocean Beach et Wall.

Dans les années 2010, elle expose sa dernière grande production d’œuvres sur toile, intitulée Équinoxe. Elle produit également des techniques mixtes sur papier créées à Montréal et contrecollées en Suisse. Des œuvres très travaillées, comme Éclat no. 4, où des formes chaloupées de sa peinture surgissent des figures énigmatiques dans des teintes de noir, de blanc, de gris et de brun.

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Dans sa série Éclat (ici Éclat no. 4, à gauche, et Éclat no. 6, à droite), exposée en 2015, Francine Simonin avait fait « éclater » ses pigments et avait collé avec soin ses papiers peints décomposés et superposés. « Je suis très architecte dans mon travail », disait-elle.

Mais dans d’autres œuvres, elle avait inséré du jaune très vif, mêlé de noir et de blanc, comme son Éclat no. 1. Une abstraction qui évoquait l’écorce d’un arbre, mais ce jaune citron, d’où sortait-il ? On n’en avait pas vu de tel chez Francine Simonin depuis ses jardins jaunes de 2004.

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Éclat no. 1, peinture de Francine Simonin de l’exposition Œuvres récentes, présentée chez Lacerte

« J’étais dans une période où j’avais fait beaucoup de noir, de brun et de blanc », avait-elle répondu à La Presse. « Il y avait peu de couleurs vives, et j’avais envie de repasser à la couleur. Tout le travail qu’on fait, ce sont toujours des essais. Parfois, une couleur avec une autre, c’est fantastique. Elle me suggère des émotions et des pensées. Alors, vas-y ! C’est comme ça que la mer pourrait être rouge… »

Sa dernière expo chez Lacerte, à Montréal, en 2018, Vu de ma fenêtre, était constituée de gravures inspirées du lac Léman, en Suisse. Un thème central dans son œuvre. Dans un style hybride mêlant les contraires. « J’aime bien construire ma feuille ou la déconstruire, ou déconstruire quelque chose qu’on connaît pour en faire autre chose », disait-elle.

PHOTO FOURNIE PAR LA GALERIE LACERTE

Léman vu de ma fenêtre, 2017, Francine Simonin, monotype et pointe sèche sur papier

René Derouin se souvient des années « de party » et de voyage avec Francine Simonin. « Nous étions comme deux artistes en exil, moi au Mexique et elle au Québec, écrit-il à La Presse. J’ai voyagé avec elle en Suisse et à la Biennale de Venise. J’avais une amitié profonde pour elle. Je lui montrais à sacrer pour qu’elle devienne Québécoise ! Mais c’était impossible ! C’est une grosse perte. Nous avions le même âge. Salut ma chère Francine, je t’aimais beaucoup. »

Francine Simonin s’est vu décerner maints prix et distinctions pour ses œuvres, qui avaient parfois des accents de calligraphie orientale. Elle a notamment reçu le prix de la première Biennale suisse de gravure, à Genève, en 1968, le prix Loto-Québec, à Montréal, en 1981, le prix Irène-Reymond pour l’ensemble de son œuvre, en 1986, à Lausanne, ou encore le prix de l’estampe à la Biennale du dessin, de l’estampe et du papier d’Alma, en 1993. Par ailleurs, en 2004, le Musée national des beaux-arts du Québec lui a remis le prix de la Fondation Monique et Robert Parizeau pour l’ensemble de son œuvre gravée.

Malgré sa disparition, Francine Simonin demeurera encore très présente sur les cimaises des musées et des institutions publiques. Au Québec, les collections du Musée national des beaux-arts du Québec et de Bibliothèque et Archives nationales du Québec possèdent plusieurs de ses œuvres. Tout comme des musées en Suisse et la Bibliothèque nationale de France. Par ailleurs, le Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul organisera une exposition rétrospective de son œuvre l’an prochain.