Aux grands maux, les grands remèdes. Pour combler ses pertes de revenus autonomes et de dons, le Musée d’art de Joliette se tourne vers Matisse, KIimt et Warhol, entre autres. Du 20 au 22 novembre, le Musée procédera à l’accrochage de neuf portraits de grands maîtres, a appris La Presse. Une façon de relancer l’action philanthropique.

Le directeur général et conservateur en chef du Musée d’art de Joliette (MAJ), Jean-François Bélisle, évalue les pertes de l’institution en revenus autonomes et philanthropiques à cause de la pandémie de COVID-19 à environ 600 000 $.

« Dès le début de la pandémie, raconte-t-il, j’avais des chèques de plusieurs dizaines de milliers de dollars sur mon bureau, mais les donateurs m’ont appelé pour me dire : ‟Malheureusement, tu vas devoir déchirer les chèques, parce qu’on ne sait pas ce qui va se passer avec l’économie…” Donc on est tombés à zéro revenu. »

Le Musée d’art de Joliette a été l’un des premiers à rouvrir ses portes le 9 juin dernier, mais les dons, qui représentent environ le quart de ses revenus, se sont faits rares.

« Oui, on reçoit des subventions du gouvernement, dit Jean-François Bélisle, mais là, on joue un peu la survie de notre musée, dit-il. Je ne me rendrai pas jusqu’au 31 mars prochain avec un déficit de 600 000 $ qui continue de se creuser, donc il faut trouver des moyens de réinventer la philanthropie. »

Pour ce faire, le directeur général du MAJ a contacté directement des collectionneurs privés du Québec et de l’Ontario.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Francois Bélisle, directeur général et conservateur en chef du Musée d’art de Joliette

L’idée n’était pas de faire une expo avec des œuvres de collectionneurs, qui prend deux ou trois ans à planifier. C’était d’emprunter quelques œuvres majeures pour deux ou trois jours et d’organiser un accrochage. C’était plus facile de les convaincre comme ça, et on a découvert plusieurs trésors cachés. Pour eux, c’était une façon d’aider le musée sans que ça leur coûte quoi que ce soit.

Jean-Francois Bélisle, directeur général et conservateur en chef du Musée d’art de Joliette

Neuf œuvres ont finalement été retenues, dont la plupart n’ont jamais été exposées auparavant.

On parle de portraits ou d’autoportraits, c’est ce qui est devenu le fil conducteur de l’évènement-bénéfice. Des dessins de Klimt ou de Matisse, un autoportrait d’Andy Warhol, une gouache sur papier de Fernand Léger. Les œuvres les plus anciennes sont attribuées à Pieter Bruegel l’Ancien, dont un tableau daté de 1558, et une huile sur toile de Frans Wouters datée du XVIIe siècle.

« C’est une façon de voir à travers les époques, des portraits de grands maîtres qu’on n’a pas la chance de voir, nous dit Jean-François Bélisle, sans que ce soit une exposition comme telle. »

Des œuvres de grande valeur, donc, que le public pourra découvrir moyennant un don minimal de 50 $ — en réservant sa place évidemment pour respecter les normes de la Santé publique. L’évènement qui aura lieu en novembre n’est pas touché pour le moment par l’annonce du gouvernement Legault, d’autant plus que Joliette se trouve actuellement à l’extérieur de la zone rouge.

Cette idée-là, d’un bref accrochage pour amasser des fonds, pourrait être reprise par d’autres musées, croit Jean-François Bélisle. « C’est un concept qui peut très bien être exporté », dit-il, vu que tous les autres types d’évènements philanthropiques normalement programmés, comme des bals, des soupers ou des galas, ne peuvent avoir lieu en ce moment.

PHOTO STEVE MONTPETIT, TIRÉE DU SITE WEB DU MUSÉE

Le Musée d’art de Joliette

La Fondation du MAJ lancera également une campagne de sociofinancement sur la plateforme La Ruche. Grâce à un programme du gouvernement du Québec (le Fonds mille et un pour la jeunesse), tous les dons reçus sur cette plateforme seront doublés par Québec et par les grands donateurs du Musée.

« C’est sûr qu’autour de cet accrochage, on aimerait générer un momentum philanthropique », dit Jean-François Bélisle.

La « philanthropie de proximité »

L’annonce du Musée d’art de Joliette survient au lendemain de la publication d’une étude commandée par le Conseil des arts de Montréal (CAM) et HEC Montréal sur la « philanthropie de proximité » en ces temps de pandémie. L’étude Repenser la philanthropie culturelle à Montréal : les relations et la communauté a été dirigée par la professeure Wendy Reid.

La philanthropie de proximité est « une façon de diversifier leurs sources de financement en augmentant la proportion de dons citoyens », écrit l’auteure de l’étude à propos des organismes culturels. Ils doivent se tourner vers des gens qui sont « proches d’eux », ajoute-t-elle. « Pour y parvenir, les organisations devront impliquer à la fois leur personnel, les membres de leur conseil d’administration, les artistes et travailleurs culturels, les abonnés, les membres et les visiteurs. »

« La capacité d’une organisation à bâtir des relations philanthropiques est liée à son modèle d’affaires, peut-on lire dans le rapport d’une centaine de pages. Une présence continue tout au long de l’année et un lien direct avec le public montréalais permettent de bâtir une communauté de donateurs individuels motivés par rapport à l’organisation. Il s’agit souvent d’un réseau distinct de celui du milieu des affaires, qui fréquente les événements-bénéfice. »

Expos d’automne

Le Musée d’art de Joliette lancera par ailleurs trois nouvelles expos temporaires samedi, même si les déplacements des zones rouges vers les autres régions du Québec ne sont pas recommandés en ce moment. La direction du Musée, qui ne peut accueillir que 50 personnes à la fois, croit que les gens de la région répondront présents.

On parle d’une collection de bronzes de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté, Alfred Laliberté et Louis-Philippe Hébert (Regards en dialogue) ; une expo de Joseph Tisiga sur son appartenance à une Première Nation (Somebody Nobody Was…) ; et un corpus d’œuvres créées à partir de matières résiduelles de plastique de Philippe Allard (Infiltrations).