Les musées québécois ne peuvent pas rouvrir avant le 29 mai, mais — signe que l’art est plus fort que la pandémie — le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) a inauguré lundi à Munich l’exposition Thierry Mugler : Couturissime. Grande première : le montage raffiné de l’exposition avec le commissaire Thierry-Maxime Loriot s’est déroulé à distance.

Depuis lundi, les habitants de Munich, en Allemagne, peuvent admirer l’époustouflante exposition du Musée des beaux-arts de Montréal sur Thierry Mugler. La vente en ligne des billets est même épuisée pour la journée de mardi.

« C’est formidable. Nous avons relevé le défi de monter virtuellement l’expo », se réjouit Nathalie Bondil, directrice générale et conservatrice en chef du MBAM.

Le commissaire Thierry-Maxime Loriot est en effet toujours chez lui à Montréal. Si ce n’était pas de la pandémie, le touche-à-tout et directeur artistique (Julie Snyder, Rufus Wainwright) serait à Munich depuis plusieurs semaines. Il aurait vu aux moindres détails du montage de l’exposition avant son grand dévoilement au Kunsthalle München. « C’est vraiment une situation inédite, mais tous les moyens sont bons pour arriver à nos fins », dit le commissaire.

« Je pense que c’est la seule expo en montage en ce moment, nous expliquait-il la semaine dernière entre deux réunions virtuelles. Cela s’est fait dans des conditions exceptionnelles. »

Roger Diederen, directeur du Kunsthalle München — qui avait aussi présenté l’exposition sur Jean-Paul Gaultier préparée par le MBAM — était en pleurs quand il a vu le montage final de l’exposition. Il était déjà ému au bout du fil vendredi dernier alors que le montage tirait à sa fin. « C’est spectaculaire. L’exposition devait ouvrir le 1er avril, rappelle-t-il. Ici, c’est l’un des grands événements de l’été. »

PHOTO FOURNIE PAR THIERRY-MAXIME LORIOT

Montage de l’exposition Thierry Mugler : Couturissime au musée Kunsthalle München, à Munich

Roger Diederen espère que les deux Thierry pourront voir l’escale allemande de l’exposition. C’est aussi un souhait cher pour Nathalie Bondil, directrice générale et conservatrice en chef du MBAM. « Habituellement, ce sont nos équipes qui montent nos expos à l’étranger, explique-t-elle. Il a fallu se réinventer et faire preuve de résilience pour monter l’expo sur Mugler virtuellement. »

Ni les gens qui travaillent pour Mugler ni Thierry-Maxime Loriot n’étaient autorisés à voyager. Avec leur perfectionnisme et souci du détail habituels, ils ont supervisé l’installation par l’entremise d’écrans.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Thierry-Maxime Loriot, commissaire de l’exposition Thierry Mugler : Couturissime

Ce n’est pas une expo facile à monter. On n’accroche pas simplement des cadres avec des clous. La mode, comme la sculpture, c’est en trois dimensions avec un éclairage complexe. […] Les employés du musée doivent aussi travailler en distanciation, ce qui est assez compliqué quand on habille des mannequins.

Thierry-Maxime Loriot, commissaire de l’exposition Thierry Mugler : Couturissime

Ceux qui ont vu Thierry Mugler : Couturissime — divisée comme un opéra en six actes — peuvent s’imaginer comment cela doit être compliqué de mettre en place la salle Métamorphoses, par exemple, qui recrée un bestiaire avec des tenues inspirées du monde animal.

Avec le décalage horaire, les derniers matins ont été fort occupés pour Thierry-Maxime Loriot. À son réveil, il avait des tonnes de photos à approuver. À cela se sont ajoutées de nombreuses visioconférences pour des « un peu plus à gauche, un peu plus à droite ».

« Or, cela a fonctionné. » Lundi, l’ouverture de Thierry Mugler : Couturissime a été un succès à Munich.

« Un produit 100 % québécois », rappelle Thierry-Maxime Loriot, qui était aussi le commissaire des expositions prisées sur Jean-Paul Gaultier et Viktor & Rolf.

Deux chances inouïes

Thierry Mugler : Couturissime est un véritable succès. La plus visitée au Canada en 2019 et la neuvième dans le monde (dans la catégorie Arts décoratifs et mode).

Après Montréal et avant Munich, Thierry Mugler : Couturissime a été présentée du 13 octobre au 8 mars dernier au musée Kunsthal, à Rotterdam. Le démontage était prévu du 8 au 16 mars. Or, le président américain Donald Trump a fermé les frontières aériennes avec l’Europe le 11 mars.

Comme il se doit, Thierry-Maxime Loriot était sur place pour veiller sur les tenues et les précieux objets de l’exposition. « C’est le démontage le plus expéditif que j’ai fait. Nous l’avons fini trois jours plus tôt que prévu. C’était une course contre la montre. »

Or, il fallait respecter les règles de l’art du transport et de la conservation des œuvres.

Le montage devait commencer à Munich dès la semaine suivante, mais tout a été mis sur pause. Chance inouïe : la frontière entre les Pays-Bas et l’Allemagne n’a jamais été fermée, si bien que les caisses de l’exposition ont finalement pu se rendre à bon port à Munich.

Le Kunsthalle München n’a pas de collection permanente, donc c’était important pour le directeur du musée Roger Diederen d’avoir une exposition à présenter.

Il fallait aussi s’entendre avec les assurances et les prêteurs, dont la Fondation Helmut Newton. « C’est leur première collaboration avec un musée en 25 ans », rappelle Thierry-Maxime Loriot.

C’est l’équipe de Thierry Mugler qui a contacté Loriot alors que le couturier avait refusé les offres de grandes institutions comme le Musée des arts décoratifs de Paris et le Victoria and Albert Museum de Londres.

Autre chance : Thierry-Maxime Loriot pouvait compter sur la présence en chair et en os pendant le montage à Munich de Philipp Fürhofer, car ce dernier vit à Berlin (tout comme Thierry Mugler). Dans l’exposition, on doit à l’artiste allemand l’aménagement de la galerie Couture gynoïde & futuriste avec des créatures-robots.

PHOTO FOURNIE PAR THIERRY-MAXIME LORIOT

Philipp Fürhofer pendant le montage de la salle des robots.

Nous avons joint Philipp Fürhofer au téléphone à Munich vendredi dernier. « C’est mon premier voyage à l’extérieur de Berlin depuis le début du confinement, nous disait-il. C’est un soulagement de voir que les choses reviennent à la normale, mais c’est bizarre de converser virtuellement avec Thierry. »

Surtout que les deux hommes se connaissent très bien. Loriot vient même d’écrire un livre sur Fürhofer ! L’ouvrage, intitulé  (Dis)Illusions, publié par la boîte montréalaise Paprika, était vendu dans les librairies d’Europe avant que Thierry-Maxime Loriot en reçoive un exemplaire chez lui à Montréal. Le grand lancement prévu à Berlin a dû être annulé.

De la résilience

Il ne sont pas les seuls artistes dans cette situation, mais Philipp Fürhofer et Thierry-Maxime Loriot ont vu plusieurs autres projets soudainement mis sur la glace avec la pandémie. Fürhofer avait conçu les décors de l’opéra Castor et Pollux, qui devait être présenté au célèbre Bayerische Staatsoper de Munich.

De son côté, Thierry-Maxime Loriot travaillait aussi sur la direction artistique de la tournée de Rufus Wainwright qui devait être lancée avec une émission de télé en direct le 22 avril à Berlin. Or, même la sortie du nouvel album de Wainwright, Unfollow the Rules, a été repoussée en juillet.

Le collaborateur de Julie Snyder à l’émission La semaine des 4 Julie demeure très positif. « Il faut lâcher prise et garder le moral. Continuer à travailler avec des solutions pour être prêts pour le déconfinement. Les gens vont toujours avoir envie de voir du beau. »

> Consultez le site du Kunsthalle München (en allemand)

Les momies demeurent au MBAM

Nathalie Bondil, directrice générale et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), ne sait pas encore quand le musée rouvrira ses portes officiellement. Ce sera quelques jours après le 29 mai — date autorisée par le gouvernement. Chose certaine, ce sera avec l’exposition Momies égyptiennes : passé retrouvé, mystères dévoilés produite par le British Museum. Or, elle devait prendre fin à la fin du mois du mars. « Nous avons eu une prolongation de la part du British Museum », explique Nathalie Bondil. Le Musée royal de l’Ontario (ROM) présentera ensuite l’exposition en septembre, et non ce printemps comme c’était prévu avant la pandémie. Cela fait donc près de deux mois que les momies veillent sur le MBAM avec le confinement. « Notre restaurateur en chef faisait des visites régulières », assure Mme Bondil.

> Consultez le site du Musée des beaux-arts de Montréal