La vente en ligne d’œuvres d’art n’est plus l’apanage des grands encanteurs. La solidarité est à l’origine du lancement sur Facebook des Encans de la quarantaine par l’artiste Sara A. Tremblay. Une vente aux enchères d’œuvres de jeunes artistes non représentés par des galeries qui a pour but de leur venir en aide et qui fonctionne très bien.

Artiste diplômée en photographie de Concordia, Sara A. Tremblay avait un emploi de technicienne de laboratoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) avant le début du confinement. Depuis sa résidence des Cantons-de-l’Est, elle a eu une idée. 

« Je me suis rendu compte que les jeunes étudiants en art de l’UQAM ont commencé, dès le début du confinement, à partager des photos des œuvres préférées de leurs amis artistes sur Instagram. Ça faisait du bien de voir ça. Je me suis alors demandé comment on pourrait faire pour leur donner plus de visibilité. »

Sara A. Tremblay a alors décidé de créer un encan d’œuvres de ces artistes, en mettant un prix de départ très bas et une date de clôture de la vente. Elle a écrit un règlement et un mode de fonctionnement, puis a lancé son projet le 27 mars.

PHOTO FOURNIE PAR LES ENCANS DE LA QUARANTAINE

Papier bulle sur poils de chat, de la série Trentaine, 2020, Olivier Lafrance, multimédia sur papier carton, 12 po x 14 po

Les Encans de la quarantaine ont débuté avec les œuvres de cinq artistes : Celia Perrin Sidarous (représentée par la galerie Bradley Ertaskiran), Laurence Pilon (galerie Nicolas Robert), l’artiste et enseignante à Concordia Pascha Marrow, Myriam Simard Parent, une diplômée de l’UQAM, et elle-même, Sara A. Tremblay. 

Ces artistes ont diffusé le site de l’encan sur les réseaux sociaux, et c’est parti comme une traînée de poudre. 

Je ne m’attendais pas à une telle réponse. Des artistes ont commencé à proposer leurs œuvres. Ça a vite pris des proportions importantes. J’ai dû accepter l’aide d’amis étudiants pour m’aider.

Sara A. Tremblay

Un comité de sélection des œuvres a été formé pour évaluer chaque semaine entre 50 et 100 dossiers d’artistes. « Dès qu’on voit une œuvre, on sait si on a envie de la partager, dit Sara A. Tremblay. On veut de la qualité. On regarde où en est la pratique des artistes, s’ils ont déjà exposé, s’ils ont un site web, etc. » 

Au début, des artistes étaient sceptiques quant à la réussite du site, estimant qu’en temps de crise, les gens avaient sans doute autre chose à faire que d’acheter des œuvres d’art. Erreur ! Au moment d’écrire ces lignes, 47 œuvres avaient été vendues pour un total de 13 700 $. Les œuvres sont cédées entre 260 et 1000 $. Deux œuvres ont atteint 1000 $ : une huile sur toile de 2016 de John Player, un artiste britanno-colombien diplômé de Concordia et résidant de Montréal, et une épreuve numérique récente de l’artiste montréalais Yann Pocreau dont 50 % du prix de vente est allé à l’organisme communautaire Maison Kangourou. 

PHOTO YANN POCREAU, FOURNIE PAR LES ENCANS DE LA QUARANTAINE

Depuis, 2020, Yann Pocreau, épreuve numérique, édition 1 de 20, 11 po x 15 po. L’œuvre a été vendue 1000 $ le 24 avril dernier.

« Les Encans n’est pas une vente au rabais d’œuvres, dit Sara A. Tremblay. Il y a un prix de réserve. Si l’artiste n’est pas satisfait du prix donné pour son œuvre, elle n’est pas vendue. » Par ailleurs, les Encans de la quarantaine ne récolte pas d’argent. La transaction se fait entre l’artiste et l’acheteur, qui s’arrangent entre eux. 

Des artistes de tous les horizons souhaitent y participer. Le site est-il en concurrence avec les galeries d’art ? « Avant de débuter, on a discuté de la valeur des œuvres par rapport au marché. On ne voulait pas concurrencer les galeries, car elles souffrent aussi. On se concentre donc sur les artistes, à la limite edgy ! », dit Sara A. Tremblay.

PHOTO JACINTHE LORANGER, FOURNIE PAR LES ENCANS DE LA QUARANTAINE

Les textures du confinement, 2020, Jacinthe Loranger, impression à jet d’encre, 18 po x 13,5 po, édition 1 de 8.

Les Encans de la quarantaine ne veut surtout pas nuire aux galeries d’art commerciales, donc. Depuis le lancement, Sara A. Tremblay évite de vendre des œuvres d’artistes représentés par des galeries. 

Le galeriste Nicolas Robert trouve que « les gens qui s’occupent de l’encan sont très professionnels et font de bons choix ». 

J’ai misé sur deux œuvres d’artistes émergents dont je ne connaissais pas du tout le travail. Je pense qu’il y a de belles découvertes à faire. Notre milieu est très fragile, mais je vois qu’elle soutient les artistes émergents.

Nicolas Robert, galeriste

Le galeriste Hugues Charbonneau se réjouit de la création des Encans de la quarantaine et encourage les collectionneurs à faire preuve de plus de générosité envers les artistes qui y vendent des œuvres. « Toute initiative venant en aide aux artistes doit être embrassée, dit-il. De surcroît, plusieurs des œuvres sélectionnées sont très intéressantes. »

  • Untitled (Hard Day's Night), 2018, Paul Hardy, huile sur lin sur panneau, 18 po x 24 po

    PHOTO FOURNIE PAR LES ENCANS DE LA QUARANTAINE

    Untitled (Hard Day's Night), 2018, Paul Hardy, huile sur lin sur panneau, 18 po x 24 po

  • Archive couleur de l’intervention French Braided Earth, 2017, Bettie Boily, impression à jet d’encre, édition de 3, 10 po x 15 po. L’œuvre a été vendue 375 $ le 24 avril dernier.

    PHOTO BETTIE BOILY, FOURNIE PAR LES ENCANS DE LA QUARANTAINE

    Archive couleur de l’intervention French Braided Earth, 2017, Bettie Boily, impression à jet d’encre, édition de 3, 10 po x 15 po. L’œuvre a été vendue 375 $ le 24 avril dernier.

  • Free ride, 2020, Beth Frey, aquarelle sur papier, 12 po x 16 po

    PHOTO FOURNIE PAR LES ENCANS DE LA QUARANTAINE

    Free ride, 2020, Beth Frey, aquarelle sur papier, 12 po x 16 po

  • Untitled, 2016, Sarah Pupo, aquarelle et cire sur soie, 18 po x 24 po. L’œuvre a été vendue 460 $ le 21 avril dernier.

    PHOTO FOURNIE PAR LES ENCANS DE LA QUARANTAINE

    Untitled, 2016, Sarah Pupo, aquarelle et cire sur soie, 18 po x 24 po. L’œuvre a été vendue 460 $ le 21 avril dernier.

  • 258-0/62-0\, 2019, Rémi Martel, estampe numérique sur papier Hahnemühle, 50 cm x 70 cm, édition 1 de 3.

    PHOTO FOURNIE PAR LES ENCANS DE LA QUARANTAINE

    258-0/62-0\, 2019, Rémi Martel, estampe numérique sur papier Hahnemühle, 50 cm x 70 cm, édition 1 de 3.

  • We, 2019, Kevin Beaulieu, uréthane (faux-fini de marbre noir et blanc), 14 po x 3 po x 1 po. L’œuvre a été vendue 400 $ le 20 avril. Elle fait partie d’une série de couteaux sculptés « sur lesquels sont gravées différentes règles non écrites de la masculinité toxique ».

    PHOTO FOURNIE PAR LES ENCANS DE LA QUARANTAINE

    We, 2019, Kevin Beaulieu, uréthane (faux-fini de marbre noir et blanc), 14 po x 3 po x 1 po. L’œuvre a été vendue 400 $ le 20 avril. Elle fait partie d’une série de couteaux sculptés « sur lesquels sont gravées différentes règles non écrites de la masculinité toxique ».

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La générosité est au cœur du projet. Récemment, Jean-François Gauthier, un artiste qui touche un salaire à l’UQAM, a annoncé remettre les profits de la vente de sa photographie à l’équipe des Encans, « qui se dévoue à la cause des artistes dont la situation est devenue précaire », a-t-il indiqué sur le site de l’encan. 

Si l’initiative perdure, Sara A. Tremblay aimerait bien dégager un peu de fonds pour elle et une employée à temps partiel. « Juste pour qu’on soit à l’aise de continuer, dit-elle. Ça rend très heureux de voir des artistes vendre des œuvres qu’ils n’auraient peut-être pas vendues autrement. Mais avoir un montant supplémentaire provenant de l’acheteur, ça nous aiderait. » 

PHOTO EMMANUELLE BOILEAU, FOURNIE PAR SARA A. TREMBLAY

Sara A. Tremblay

L’encan pourrait donc demeurer après la crise, mais il s’adressera alors uniquement aux artistes n’ayant aucune expérience du marché de l’art. « On nous dit que c’est quelque chose qui manquait, dit Mme Tremblay. C’est tellement difficile pour les artistes d’obtenir une première expo. » 

Pour Louise Déry, directrice de la Galerie de l’UQAM, Les Encans de la quarantaine sont une excellence chose. 

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

La commissaire Louise Déry, en 2015, quand elle a reçu le prix du Gouverneur général en arts visuels et médiatiques, des mains de David Johnston, à Ottawa.

« Les formes de partage sont plus que jamais essentielles, dit-elle. Les artistes visuels le savent très bien puisqu’ils contribuent depuis longtemps à de multiples causes en cédant le fruit de leur travail. Quand on dirige l’éclairage sur la précarité que vivent certains d’entre eux, en ces temps tellement difficiles, il est salutaire de voir que l’aide peut leur être consacrée. La communauté de l’art œuvre sous nos yeux et, malgré l’anxiété, elle trouve des formes de résistance. »

> Consultez le page Facebook des Encans de la quarantaine