Rafraîchissant et dépoussiérant ! C’est ce qu’on ressent durant la visite de cette expo d’artistes talentueux, dont sept diplômés de Concordia ou en voie de l’être, aucun n’étant affilié à une galerie d’art. Une véritable cure de jouvence d’œuvres on ne peut plus actuelles.
Cette exposition est le second volet de Projet Casa, une initiative du couple de collectionneurs Danielle Lysaught et Paul Hamelin entamée l’été dernier. Deux geeks amateurs d’art qui ont converti le rez-de-chaussée de leur demeure, l’ancien B & B Casa Bianca, en salles d’exposition. Un espace privé consacré à aider la relève.
Quand on n’est pas de la génération des jeux vidéo, du pouvoir exacerbé de l’image et de la culture de surconsommation, quand on n’est pas né avec l’internet comme accessoire essentiel du quotidien et quand on ne reconnaît pas les visages des superhéros et des vedettes actuelles des jeunes, on prend conscience en parcourant Écho boomer que le temps passe ! Et que l’art évolue très vite…
Prenez Kevin Rameau, archétype de ces « Natifs numériques », dont les œuvres sont éminemment branchées sur le présent, il nous invite à réfléchir sur l’ascendance des technologies sur nos vies… et ses conséquences.
L’étudiant de Concordia d’origine haïtienne s’intéresse aux stéréotypes, mais aussi aux travers de nos sociétés occidentales connectées en permanence sur le Net, notamment avec Pornhub | Internetexplorer.exe qui représente une page du site pornographique montréalais actuellement sous les feux de l’actualité.
Montée dans le cadre de l’évènement Pictura, l’expo est signée par la jeune commissaire Caroline Douville, d’origine québécoise et haïtienne, qui crée sous le nom d’Erzulie, le nom d’une divinité du vaudou. Elle a choisi des artistes de son âge qu’elle connaissait ou qu’elle a découverts sur les réseaux sociaux. Des peintres plus versés dans la figuration que dans l’abstraction.
Intéressée par la peinture afro-américaine, Erzulie présente cinq peintures. Dans Target, trois « influenceuses » noires, proches de l’univers de la mode, du rap et du basket, sont placées près d’une chaussure Jordan, associée à l’identité noire et dotée de talons hauts pour évoquer l’hypersexualisation de la femme noire, notamment dans le hip-hop.
Une réflexion sur l’illusion comme s’y emploie aussi la peintre Chloé Gagnon avec sa toile Ne pas confondre le beau et le vrai, qui évoque les dangers de cette vogue démesurée de l’apparence. Née en Ontario et étudiante à l’UQAM, Chloé Gagnon a une approche féministe et un souci de relecture des œuvres du passé et des images de la culture populaire. Le tout avec une technique de collage combinée au besoin de transmettre une notion résolument moderne de la femme, comme elle l’illustre avec Did We Dream Too Fast, allusion notamment à la perte de contrôle qui marque toute révolution, qu’elle soit technologique ou sociale.
Nous avons bien aimé aussi le dynamisme des œuvres de Brent Cleveland. Des peintures narratives proches de l’univers du cinéma, tel son tableau Swimmer, ou celui de la mode et de la fiction, comme avec Enemies & Lovers.
Né à Arthabaska, Antoine Larocque, seul artiste montréalais autodidacte du groupe, travaille sur des objets trouvés, comme cette bannière publicitaire d’un supermarché utilisée pour son œuvre Carnaval, qui remet en question l’impact d’une image publicitaire et notre relation au commerce.
Le Montréalais Trevor Bourke, fasciné par le fantastique et l’imagerie numérique, présente sept œuvres de grande qualité technique et assez différentes pour refléter l’étendue de son talent. Scène champêtre avec Junction, références aux jeux de masque avec Bulldozer et Foreman, critique de la fermeture actuelle des lieux d’art avec Participants Beware ou encore scène de film policier avec Reliquary.
Autre surdoué du dessin, Antoine Thériault, natif de L’Islet, procède de la même façon en se nourrissant de l’internet et de ses souvenirs pour peindre des « fantasmes digitaux » dont il se sert ensuite pour créer… des vidéos fantastiques. Brillant. D’origine ontarienne, Alexa Hawksworth s’inspire, elle, de ses rêves et réalise des œuvres expressives comme Lying. D’autres semblent émaner de souvenirs de films d’horreur, telle que Sally in Third. Ou affichent un angle féministe comme First person qui nous branche sur la popularité des jeux vidéo violents chez les garçons.
Également d’origine ontarienne, Dexter Barker-Glenn présente une série conceptuelle d’œuvres évoquant une activité par jour de la semaine. Une réflexion sur les biens de consommation qui accompagnent ou envahissent notre existence. Des œuvres suggestives et originales.
Les Écho boomers se battent par l’image pour leurs idéaux et des valeurs progressives.
Caroline Douville
« On veut soutenir le milieu, dit Mme Lysaught. En janvier, on présentera une exposition d’un artiste designer sur l’identité de genre et les vêtements asexués et en février, dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, on aura un projet avec Moridja Kitenge Banza. Toujours des jeunes émergents et des projets originaux ! »
Écho boomer : Natifs numériques, jusqu’au 19 décembre à Projet Casa, 4351, avenue de l’Esplanade, Montréal.
> Prenez rendez-vous pour visiter l’exposition