La pandémie n’a pas sclérosé la Galerie de l’UQAM. Sa directrice Louise Déry a élaboré un concept éclairé à partir d’une pièce de théâtre de Samuel Becket. Résultat : QUADrature comprend quatre parties distinctes et 16 œuvres présentées en ligne. Un véritable vaccin contre la sinistrose…

Un jour de mai dernier, Louise Déry se demandait comment redémarrer « la machine de programmation ». Elle s’est alors souvenue d’une pièce de théâtre au touché très contemporain de Beckett, Quad, créée en 1980 pour la télévision. Quatre danseurs se déplaçaient sur une petite scène, sans s’arrêter ni se toucher. La pandémie tout crachée, selon Louise Déry. Elle a utilisé cette analogie comme base de QUADrature, qui évoque notre besoin actuel de proximité tout en abordant des thèmes tels que le mouvement Black Lives Matter.

Extrait de Quad I + II de Samuel Beckett

Seulement en ligne pour l’instant sur le site de la galerie, QUADrature se déploie en quatre volets avec quatre artistes québécois par volet. Les deux premiers volets sont déjà en ligne. Les deux autres le seront au cours du premier trimestre de 2021.

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Kutefuka [Koutefouka], 2020, Moridja Kitenge Banza, vidéo, couleur, son, 1 min 6 s Volet Respiration de l’expo QUADrature.

Intitulé Respiration, le premier volet a été façonné par la commissaire Diane Gistal, peu de temps après la mort de George Floyd, avec quatre artistes issus de la communauté noire, Marie-Danielle Duval, Marie-Laure S. Louis, Moridja Kitenge Banza et Siaka S. Traoré. Et des œuvres qui parlent de métissage, d’immigration ou encore de relations interculturelles.

> Découvez Respiration

Quelque part, autrement, le deuxième volet de QUADrature sur lequel nous nous sommes penchés, a été concocté par la commissaire Ariane De Blois, qui a réuni quatre femmes artistes, Mona Sharma, Leila Zelli, Anna Binta Diallo et faye mullen. « Dans le cadre de la pandémie, j’ai voulu réfléchir au fait qu’on trouve pénible de ne pouvoir se rassembler et de ne devoir communiquer pratiquement qu’avec les technologies de l’information », dit Ariane De Blois.

faye mullen

La commissaire a opté pour des artistes qui s’intéressent aux relations entre les humains, notamment l’artiste autochtone faye mullen. Anishinaabe originaire de Niagara, elle a créé AASAMISAG, une vidéo de 21 minutes qui se penche sur ce qui sépare les êtres et les territoires, avec notamment une réflexion sur les murs.

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AASAMISAG (image tirée de la vidéo), 2019-en cours, faye mullen, vidéo, couleur, son, 21 min 15 s

faye mullen superpose de façon rythmée des illustrations sur les murs les plus célèbres, tels celui de Berlin, celui entre les États-Unis et le Mexique, le mur de Belfast à l’époque du conflit en Irlande du Nord, le mur entre Israël et la Palestine, etc. L’artiste évoque les divisions entre les pays, entre les cultures et entre les humains, et même ce fameux quatrième mur au cinéma où, au contraire, l’acteur brise un mur en s’adressant directement au spectateur.

Elle aborde enfin ce mur qui forge notre quotidien depuis mars, soit notre écran d’ordinateur qui nous sépare des autres tout en nous unissant à l’occasion. « C’est une œuvre puissante, autant dans le sens formel que celui du propos », dit Ariane De Blois. L’œuvre complexe est en effet originale et forte, mais il est dommage que l’artiste susurre la narration, ce qui la rend peu audible et établit curieusement une sorte de mur entre l’artiste et le spectateur.

Mona Sharma

Avec 53 dessins numériques, Mona Sharma signe Manifeste, une œuvre graphique de 2018 qui parle de solitude et d’invisibilité physique, économique et ethnique, à travers la propre vie de cette artiste montréalaise dont la famille est originaire de l’Inde.

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Manifeste (détail), 2018-en cours, Mona Sharma, 53 dessins numériques.

La succession de dessins la met en scène en compagnie d’autres personnages. Des situations qui évoquent ses problèmes d’intégration. « Un récit graphique autobiographique éclaté qui parle de difficultés relationnelles et comment elle essaye de transformer son invisibilité », dit Ariane De Blois.

Anna Binta Diallo

Dans Négociations II, une vidéo sur trois écrans, Anna Binta Diallo insiste aussi sur les défis identitaires. Sur sa naissance au Sénégal de deux parents qui se sont connus en France (père sénégalais et mère canadienne-française avec des origines métisses) et son déménagement, toute jeune, à Saint-Boniface, au Manitoba.

Extrait de Négociations II, une vidéo d’Anna Binta Diallo

Les images du passé, les paysages africains, la neige du Canada illustrent l’hybridité, la force des racines et cet enjeu que constitue le fait d’être le fruit de plusieurs héritages, langues et cultures. Comme dans le cas de faye mullen, Anna Binta Diallo ajoute une narration écrite en anglais et en français. Les phrases sont superposées aux images, mais l’artiste ne nous laisse pas le temps de les lire au complet, ce qui nuit à la compréhension.

Leila Zelli

La dernière œuvre, Pourquoi devrais-je m’arrêter ?, formée de deux vidéos, est la plus puissante des quatre. Critique de la société iranienne d’où elle est originaire, Leila Zelli montre comment des femmes de ce pays luttent et résistent. Notamment en contestant sur les réseaux sociaux la décision du pouvoir religieux iranien d’interdire aux femmes la pratique antique, en public, du Varsesh-e Bâstâni, un exercice physique réservé aux hommes.

On voit ainsi des extraits de vidéo de femmes de tous âges filmées en train de danser et de pratiquer cet exercice traditionnel à l’extérieur ou chez elles. Tandis qu’est diffusé le poème Il n’y a que la voix qui reste, de Forough Farrokhzad.

Extrait de Pourquoi devrais-je m’arrêter ?, de Leila Zelli

Pour marquer la détermination des femmes iraniennes, une autre vidéo nous montre Leila Zelli tourner en rond dans un parc durant plusieurs minutes. Cercle vicieux, obstination, résistance. Pourquoi devrais-je m’arrêter ? demande l’artiste. Une œuvre simple, claire et forte. Un appel à la résilience qui résonne d’autant plus fort actuellement. Comme l’exprime Louise Déry, « QUADrature connecte de manière incroyable le temps présent sans l’illustrer superficiellement ».

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Pourquoi devrais-je m’arrêter ? (image tirée de la vidéo), 2020, Leila Zelli, vidéo, couleur, son, textes

En janvier, le troisième volet de QUADrature sera développé par « Le musée d’art actuel-département des invisibles » des commissaires Nuria Carton de Grammont et Stanley Février, une critique sociale et un regard sur l’impact du racisme dans le domaine de la création. Suivra en mars le dernier volet commissarié par Bénédicte Ramade qui offrira, dit Louise Déry, une perspective plus planétaire des enjeux avec lesquels l’humanité est actuellement aux prises.

> Consultez le site de l’exposition