Tant que l’herbe sera verte, tant que les rivières couleront, tant que le soleil se lèvera à l’est et se couchera à l’ouest, l’amitié, la paix et une vie harmonieuse guideront les relations entre autochtones et non-autochtones.
Tels furent, en substance, les vœux de la première alliance scellée, il y a quelque 400 ans, entre les nations autochtones de l’île de la Tortue (Amérique du Nord) et les représentants du colonisateur.
« C’est dans cet esprit que la Biennale d’art contemporain autochtone a vu le jour, notre souhait le plus cher étant que les amitiés naissent dans une meilleure compréhension, dans un esprit de partage », souligne, dans le catalogue de la 5e BACA, Rhéal Olivier Lanthier, copropriétaire de la galerie Art mûr et fondateur de la biennale avec François St-Jacques.
La pandémie est venue chahuter l’organisation d’Honorer nos affinités, thème de cette 5e biennale autochtone montréalaise. C’est dommage. On espère que le déconfinement permettra, sous peu, de remédier à ces circonstances pénibles, car l’évènement est, cette année, une réelle célébration de l’art autochtone contemporain canadien orchestrée en totalité par des autochtones du Canada.
La BACA 2020 a été concoctée comme une main tendue et un fier besoin de brandir son « autochtonisme », une identité politique, selon le critique et commissaire métis de Régina David Garneau, qui a élaboré l’évènement, avec l’aide de l’artiste anishinaabe Faye Mullen et de l’artiste rudi aker, de la nation Wolastoqiyik.
Trois commissaires aux points de vue artistiques et politiques marqués donnent à cette BACA un parfum très particulier, entre la déclaration identitaire combative et l’affirmation assumée d’une quête de souveraineté.
« En nous positionnant en tant que praticien-ne-s de la pensée autochtone résurgente, et en reconnaissant notre implication dans un paysage culturel qui est lié au marché capitaliste, nous endossons la responsabilité de proposer d’autres façons d’honorer le processus de la création elle-même », écrivent Faye Mullen et rudi aker dans le catalogue.
Les deux commissaires condamnent, entre autres, la délimitation des réserves autochtones du « KKKanada », le manque d’accès à l’eau potable de certaines communautés aborigènes, la brutalité policière vis-à-vis des autochtones et la « crise génocidaire » visant les femmes autochtones. Un ton assez ferme, qui laisse peu de place aux nuances.
L’évènement est donc l’occasion d’évoquer des frustrations et d’espérer d’autres relations entre « Blancs » et autochtones. Le lancement virtuel de l’exposition, le 23 avril, était déjà très impressionnant pour un non-autochtone. Avec un préambule cérémoniel très long, comprenant des « paroles de gratitude » exprimées en direct par des aînés iroquois pour honorer « les forces qui nous donnent vie et qui assureront aussi notre futur ». La terre, les poissons, les racines, les insectes, les plantes, les fruits, les arbres, le soleil, etc. Une cérémonie axée sur l’amour de la nature et de la vie.
La BACA 2020 est donc empreinte de reconnaissance envers les ressources de la vie sur Terre et la transmission des savoirs, pierre angulaire de la survivance des Premières Nations. On y aborde les relations intergénérationnelles, l’importance de la mémoire et des ancêtres et les liens avec notre environnement. Des thèmes qui ne peuvent être plus actuels.
Une vingtaine d’artistes invités ont été priés de suggérer des œuvres créées par des proches ou des amis, si bien que la BACA propose, en plus des œuvres d’artistes confirmés, des créations d’artistes méconnus jamais exposées au Québec, comme celles de Lucas Hale (avec du perlage sur planche à roulettes), Kay Meyer, Corinna Wollf, Graham Paradis, Sharon Rose Kootenay ou encore Emma Hassencahl-Perley.
Cette dernière a créé une robe à clochettes comme celles utilisées lors des pow-wow. Elle y a intégré des lambeaux de la Loi sur les Indiens, un vieux document fédéral qui régule encore aujourd’hui la vie des autochtones et qui les frustre profondément. Cette robe trouve un écho actuel puisque, selon David Garneau, les robes à clochettes ont fait leur apparition au Canada lors de la pandémie de la grippe espagnole, en 1919.
L’exposition comprend autant de dessins, de peintures, de sculptures, de céramiques et d’œuvres faites de perles, de peaux ou de textiles que de photographies, d’installations et de vidéos. Certaines œuvres sont moins frappantes que d’autres, empruntant le chemin des traditions artistiques autochtones, tandis que d’autres sont résolument modernes. Par exemple, les impressions numériques de Jon Corbet (un artiste d’origine crie, métis et saulteaux) réalisées à partir d’un programme informatique qui lui a permis de produire des portraits « perlés » tirés de photos de membres de sa famille. Plusieurs exemples issus de cette technique particulière sont exposés à la galerie Art mûr.
Ou encore l’œuvre aux couleurs de l’arc-en-ciel This One Brings Me the Most Pride, de l’artiste crie des Plaines Judy Anderson, créée pour honorer son deuxième enfant, mais aussi la fierté des autochtones bispirituels (Two-Spirit). Son fils, Cruz, a d’ailleurs confectionné avec elle l’œuvre Side by Side 2020, une paire de sacs exposée à la Guilde. Une œuvre symbolique de ce besoin d’honorer les affinités, qui débute avec le talent inné et se poursuit dans le relationnel.
Voici donc un défi adressé aux Montréalais non autochtones, invités à s’immerger sans préjugés au cœur de cet univers parallèle qui tend de plus en plus à rejoindre le leur, ces dernières années, pour des lendemains peut-être plus harmonieux.
Après avoir été l’une des amorces de ce rapprochement, la Biennale d’art contemporain autochtone de Montréal en est aujourd’hui autant l’illustration qu’un des vecteurs.
Le déconfinement permet d’ores et déjà d’admirer des œuvres à la galerie Art mûr et sur rendez-vous à la galerie PFOAC. Il sera possible de le faire au Musée McCord dès le 23 juin et très bientôt à la Guilde, qui l’annoncera cette semaine sur son site. Par contre, il n’y a pas de date de réouverture pour la Maison des régions et la galerie d’art Stewart Hall de Pointe-Claire.